Dans les coulisses de l’Assemblée nationale, deux députées, Brigitte Barèges et Sophie Pantel, lèvent le voile sur un quotidien méconnu. Entre Paris et leurs territoires ruraux, elles racontent une fonction bien loin des clichés médiatiques : un engagement total, où chaque jour se construit au carrefour de la passion politique et des réalités locales.
« Il y a des jours où le soleil n’est pas encore levé quand je pars, et il est déjà couché quand je rentre ». Au petit matin, dans le TGV qui file vers Montauban, Brigitte Barèges parcourt ses dossiers. Ancienne maire de la préfecture du Tarn-et-Garonne pendant près de 20 ans, cette avocate de formation a troqué ses habitudes aériennes pour les rails. « C’est moins fatiguant, je peux travailler dans mon fauteuil de train », confie celle qui partage désormais sa vie entre Paris et sa terre d’élection. À quelques centaines de kilomètres de là, Sophie Pantel, première femme députée en Lozère, s’apprête à entamer une nouvelle journée marathon, dans ce territoire qu’elle qualifie avec fierté de « plus beau pays du monde ».
Les chemins qui ont mené ces deux femmes à l’Assemblée nationale sont aussi différents que leurs convictions politiques. Sophie Pantel, députée au Parti socialiste (PS), juriste de formation passée par le secteur privé, a choisi la Lozère par amour du territoire. Son parcours politique s’est construit pas à pas : maire adjointe, conseillère départementale, présidente de département, vice-présidente de région. « Je n’avais pas prévu d’être députée », avoue-t-elle, « c’est la progression du RN qui m’a fait changer d’avis ».
Brigitte Barèges, députée Union des droites pour la République (UDR), le parti créé par Éric Ciotti, évoque sa candidature comme une réponse à l’urgence. « Je m’inquiète pour la France », explique cette figure de la droite locale, « il y a un laxisme généralisé, on a perdu notre rayonnement à l’échelle internationale. » Comme elle le dit avec passion, « comme Jeanne d’Arc, j’aime mon pays. »
Un marathon hebdomadaire
Le rythme d’un député est une course contre la montre perpétuelle. Pour Sophie Pantel, la semaine commence souvent par un long trajet en train, « 12 heures par semaine » vers Paris. « Ce que j’avais prévu, c’était de partir le lundi et de revenir le jeudi matin. Mais finalement, je passe beaucoup plus de temps à Paris que prévu, notamment à cause du budget », explique cette membre de la commission des finances.
Les journées à la permanence de Mende sont minutées : points avec l’équipe, traitement du courrier, rendez-vous en cascade. « Ce matin, on a travaillé une question sur la desserte du territoire. Cet après-midi, j’ai une bilatérale avec le préfet », détaille-t-elle. Les soirées ne sont pas en reste, entre « manifestations caritatives » et « visioconférences avec l’équipe ».

Cette présence sur le terrain, loin d’être une simple formalité, constitue le cœur du mandat. À Montauban, Brigitte Barèges a ainsi institutionnalisé les réunions cantonales : une journée entière dédiée à un canton, à la rencontre de tous ses acteurs. « C’est très intéressant d’être sur le terrain car vous êtes dans le concret », souligne l’ancienne maire, qui a conservé de ses années à l’hôtel de ville le goût du contact direct.
Ce travail de proximité se traduit par une diversité de dossiers aussi riche que les territoires eux-mêmes. Quand Brigitte Barèges se bat pour la sauvegarde d’un tableau de Marcel Lenoir destiné à un musée local, elle endosse le rôle de défenseur du patrimoine. Lorsqu’elle intervient pour une coopérative agricole menacée à Caussade, elle devient la voix des acteurs économiques locaux.
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La ruralité, un défi quotidien
Cette réalité du terrain prend une dimension particulière dans les territoires ruraux. En Lozère, Sophie Pantel doit composer avec des contraintes géographiques spécifiques. « La taille de la Lozère en étant seule et en ayant un territoire immense, c’est dur de tout gérer », reconnaît-elle. Cette difficulté nourrit son engagement pour une meilleure reconnaissance des territoires ruraux : « Mon combat, c’est de faire reconnaître les atouts de ces territoires. Pour moi, c’est anormal que mon département n’ait qu’un seul député. »
Face à l’immensité du territoire, l’organisation devient un art de l’équilibre. « J’essaye de qualifier la présence du territoire », explique Sophie Pantel, jonglant entre visites d’entreprises, réunions sur la prédation du loup, repas des clubs de troisième âge et cérémonies de vœux. Un emploi du temps qui reflète la diversité des enjeux ruraux et la nécessité d’une présence constante.

Cette intensité du travail de terrain contraste souvent avec l’image publique du mandat parlementaire. « L’image de la télé avec les hémicycles vides n’est pas du tout la représentation de la réalité », insiste Sophie Pantel. Un décalage qui se creuse notamment lors des longues sessions nocturnes à l’Assemblée : « Ce qui me gêne beaucoup, c’est de passer la nuit à l’Assemblée. Souvent ça dépasse minuit et ça m’est arrivé d’aller jusqu’à 4 heures du matin. »
Pour Brigitte Barèges, malgré les contraintes, l’enthousiasme reste intact. « Je me régale », confie-t-elle en évoquant sa double vie entre Paris et Montauban. Pourtant, elle note aussi une évolution préoccupante : l’accès aux ministres devient plus difficile « quand on n’est pas dans la majorité de l’Assemblée », soulignant les obstacles politiques qui peuvent entraver l’efficacité du travail parlementaire.
L’équipe : le maillon essentiel
Derrière chaque députée se cache une équipe dont le rôle est crucial dans le maillage territorial. À Montauban, les deux collaborateurs de la députée de l’Union des droites pour la République orchestrent un ballet incessant : des conseils juridiques aux alertes d’entreprises en difficulté, en passant par les demandes personnelles des administrés. À Mende, l’équipe de Sophie Pantel, épaulée par son suppléant Serge Gayssot, assure une continuité de présence indispensable pendant ses absences parisiennes.
Dans ce tourbillon d’activités, la recherche d’un équilibre personnel devient un défi quotidien. « J’essaye de me garder le dimanche après-midi pour souffler et marcher un peu », confie Sophie Pantel. Une respiration nécessaire pour cette « hyperactive » qui enchaîne « des journées de 10 à 15 heures ».
Cette quête d’équilibre se heurte à la réalité d’une fonction qui ne connaît pas vraiment de pause. Entre réseaux sociaux, mails et messages, les sollicitations sont permanentes. « J’ai beaucoup moins le temps de lire », regrette Sophie Pantel, symbole de ces petits renoncements qui jalonnent la vie d’un élu.

C’est peut-être dans leurs engagements personnels que se révèle le mieux la singularité de ces députées. Brigitte Barèges dont le mari était arboriculteur, l’attachement au monde agricole est important et nourrit son combat contre une » administration étouffante » pour les agriculteurs. Son travail sur la proposition de loi concernant l’accouchement sous X reflète également une volonté d’aborder des sujets de société sensibles. Plus surprenant peut-être, son intérêt pour l’écologie traduit une volonté de renouveler l’approche de la droite sur ces questions : « Je veux porter une proposition de loi, on n’associe pas assez la droite à l’écologie, ça n’appartient pas qu’à la gauche. »
De son côté, Sophie Pantel met son expérience d’élue locale au service d’une vision plus globale. Sa position à la commission des finances lui permet d’avoir « une vision globale de tous les textes », tout en gardant un œil vigilant sur la dette de la France : « Elle n’a pas les moyens de faire tout ce qu’on voudrait devoir faire. »
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Cette dimension locale du mandat se trouve aujourd’hui confrontée à la révolution numérique. Les réseaux sociaux ont créé de nouveaux espaces de dialogue, mais aussi de nouvelles contraintes. « Les images et commentaires des médias de Bolloré ne correspondent pas à la réalité », observe Sophie Pantel, pointant le fossé qui se creuse parfois entre perception médiatique et réalité du terrain.
Cette évolution technologique s’accompagne d’une transformation profonde des attentes citoyennes. Le député devient un interlocuteur multifonction, sollicité sur des sujets qui dépassent largement le cadre législatif traditionnel. Des conseils juridiques aux médiations locales, en passant par le soutien aux initiatives culturelles, le champ d’action s’élargit constamment.
Vers un nouveau modèle de représentation
Face à ces mutations, la question de l’organisation du travail parlementaire devient centrale : « On n’a l’impression de n’être jamais au bon endroit au bon moment », résume Sophie Pantel, qui propose d’alterner une semaine à l’Assemblée et une semaine en circonscription. Une suggestion qui fait écho aux réflexions de Brigitte Barèges sur le cumul des mandats : « Je crois que le couple député-maire était un bon compromis. » Cette réflexion sur l’évolution du mandat s’inscrit dans un contexte plus large de transformation politique. « On bascule vers un parlementarisme et beaucoup de gens n’ont pas ce niveau de maturité politique », observe Sophie Pantel, soulevant la question cruciale de l’adaptation des institutions aux réalités contemporaines.
L’enjeu n’est plus seulement de représenter, mais de faire vivre la démocratie au quotidien. Chaque député, chaque élu, devient alors un acteur de cette reconstruction du lien démocratique. « C’est passionnant d’être député », confie Brigitte Barèges. Une passion qui, en 2024, anime les 577 députés de l’Assemblée nationale, dont 215 femmes. Un record sous la Ve République. Pourtant, alors que 62% des Français déclarent ne pas faire confiance à leurs députés selon un récent sondage IPSO, la question de la représentation nationale n’a jamais été aussi cruciale. Entre réforme constitutionnelle, évolution des pratiques parlementaires et transformation numérique, le métier de député pourrait connaître de profonds bouleversements dans les années à venir. La proposition de Sophie Pantel d’alterner semaines parlementaires et semaines en circonscription pourrait-elle préfigurer le futur de la fonction ?