
Toulouse se positionne comme un vivier régional où l’intelligence artificielle investit progressivement les métiers. La métropole bénéficie d’un environnement scientifique développé, composé de plus de cent mille étudiants et d’une trentaine d’établissements d’enseignement supérieur. Elle dispose également d’infrastructures de qualité comme l’institut ANITI, l’Artificial and Natural Intelligence Toulouse Institute, qui rassemble plus de trois cents chercheurs et une soixantaine de partenaires, grandes entreprises, start up et laboratoires, autour du concept d’une IA dite hybride, appliquée à la mobilité, à l’industrie et à l’environnement.

En pratique, les expérimentations locales sont nombreuses : transports, environnement, santé et outils numériques en entreprise. Cette enquête fait le point sur les initiatives toulousaines et sur les enjeux humains qui les accompagnent.
Toulouse, un écosystème d’IA pluridisciplinaire
Toulouse possède un environnement universitaire et industriel disposé à l’innovation en intelligence artificielle. Selon les informations publiées par la Communauté des Universités et Établissements de Toulouse. L’institut ANITI, soutenu par l’État et les collectivités, se compose de laboratoires académiques, écoles d’ingénieurs et entreprises du bassin toulousain. L’objectif est de développer une IA hybride alliant apprentissage automatique et raisonnements logiques. Les secteurs ciblés sont la mobilité et les transports, notamment l’aérien et l’urbain, ainsi que la robotique pour l’industrie du futur. ANITI concentre plus de trois cents chercheurs, une soixantaine de partenaires industriels et dix neuf chaires scientifiques.
La concentration de recherche repose sur la présence d’acteurs comme le CNRS, l’INRAE, le CNES, l’INSA et de grands groupes tels qu’Airbus ou Continental, associés à plus d’une centaine de laboratoires du territoire. Les projets couvrent aussi la simulation en réalité augmentée, la robotique de maintenance industrielle, et l’analyse prédictive pour la santé ou l’environnement. La formation fait également partie des priorités : l’institut à pour objectif de doubler le nombre d’étudiants formés à l’IA et à augmenter les cursus spécialisés, du baccalauréat au doctorat. Des workshops, des stages et des hackathons sont organisés chaque année pour mettre en pratique les compétences et favoriser l’innovation collective.
Selon France Stratégie, « l’IA n’est pas une technologie autonome, capable de penser par elle-même », rappelant que ces outils doivent rester contrôlés par les humains. Cette surveillance est au cœur des initiatives toulousaines, qui cherchent à combiner l’ innovation technologique et la maîtrise humaine.
Mobilité, les feux tricolores pilotés par IA
Dans les transports, Toulouse Métropole expérimente l’intelligence artificielle pour améliorer la gestion du trafic. L’expérimentation menée par la ville s’appuie sur un article publié sur le site de Toulouse Métropole le 16 septembre, et un article de l’Opinion Indépendante publié le 22 septembre. Depuis 2025, un projet pilote installé sur plusieurs carrefours, notamment route de Narbonne, repose sur un boîtier capable d’analyser en temps réel les flux de véhicules. Les données, comme la densité de circulation, le passage d’un bus ou l’arrivée d’un véhicule de secours, sont envoyées à l’algorithme conçu par la start up toulousaine Wisp. L’IA calcule alors la durée optimale du feu vert ou rouge. Le but est de réduire l’attente aux carrefours et de limiter les embouteillages.
Les premiers résultats sont déjà encourageants : les temps d’attente aux intersections ont diminué, et la fréquence des arrêts pour les bus a été réduite, ce qui améliore la ponctualité du transport public. Toulouse prévoit également d’intégrer ces feux dans un système global de mobilité, mélangeant données de bus, métro, tramway et futurs véhicules connectés grâce à la 5G urbaine. Des scénarios de simulation sont testés au quotidien pour prévoir les pics de trafic, par exemple lors des événements sportifs, des concerts ou des périodes de vacances scolaires.
D’autre part, l’IA est utilisée pour détecter les anomalies sur la chaussée ou des situations dangereuses (véhicule arrêté, travaux non signalés). Les alertes sont envoyées en temps réel au PC Capitole, permettant une intervention rapide et réduisant ainsi le risque d’accidents. Cette approche proactive démontre le potentiel de l’IA pour créer un réseau urbain plus sûr et plus fluide, tout en servant d’exemple à d’autres métropoles françaises souhaitant mettre en place des « smart intersections ».
Environnement, tri des déchets optimisé par l’IA
La gestion des déchets est un autre champ d’expérimentation. Une information rapportée dans une enquête publiée par La Dépêche du Midi le 19 novembre. Veolia a équipé plusieurs bennes de collecte à Toulouse de caméras rattachées à une IA embarquée développée avec la start up française Lixo. Le système reconnaît plus d’une trentaine de familles de déchets et signale en temps réel les erreurs de tri. Les entreprises et établissements de la région, soumis à des obligations réglementaires de caractérisation annuelle, reçoivent grâce à ce dispositif un rapport détaillé de la composition de leurs poubelles.
L’apport supplémentaire de l’IA ne se résume pas à la simple détection. Le système peut également identifier des tendances sur plusieurs semaines : par exemple, une augmentation de plastiques noirs mal triés ou un pic de déchets électroniques dans certains endroits. Ces données permettent aux entreprises de mettre en place des formations adaptées, d’optimiser la gestion de leurs conteneurs et même de réaménager la logistique de collecte. Les retours montrent que les erreurs de tri ont diminuées dans certaines structures, ce qui limite le gaspillage et améliore l’efficacité des centres de recyclage.
À l’avenir, Veolia souhaite interconnecter ces bennes « intelligentes » avec des plateformes analytiques centralisées pour avoir une cartographie en temps réel de la production de déchets sur la métropole. Ce dispositif pourrait plus tard être relié à des applications citoyennes, permettant aux habitants de voir la performance de leurs quartiers en matière de recyclage. Ainsi, l’IA contribue non seulement à la performance industrielle mais également à la sensibilisation environnementale.
Santé, une IA au bloc opératoire
Dans le secteur médical, Toulouse a reçu en 2025 la première étude clinique mondiale d’un logiciel d’IA guidant en temps réel la pose de valves cardiaques par cathéter. Cette intervention pionnière a été racontée dans un reportage d’actu.fr publié le lundi 17 novembre. La Clinique Pasteur a testé le logiciel TAVIPILOT Soft, créé par la medtech Caranx Medical. L’IA identifie automatiquement les repères anatomiques et calcule la profondeur d’implantation. Sur dix patients souffrant de sténose aortique sévère, l’étude SAITO 1A a montré un succès complet, sans aucun problème technique.
Les cardiologues de la clinique, notamment le Dr Tchetche et son équipe, ont pu bénéficier d’un guidage automatisé qui améliore la précision d’un geste considérablement délicat. Toulouse et Caranx envisagent la commercialisation du système à une échelle européenne et américaine. Outre Caranx, le CHU de Toulouse et les laboratoires universitaires locaux (IRIT, INSERM) développent des algorithmes d’aide au diagnostic en radiologie, neurologie ou génétique. L’IA agit comme un amplificateur des compétences médicales, et fait apparaître de nouvelles qualifications (data scientists en santé, ingénieurs de recherche clinique).
Startups et entreprises locales
Au-delà des grands groupes, plusieurs jeunes entreprises toulousaines proposent des solutions d’IA à destination des professionnels. La start up CapitoleAI, créée par Bryan Bredier a été présentée dans un article de ToulÉco daté du 18 novembre. Elle commercialise un assistant nommé Léon, interconnectable à différents logiciels métiers. L’outil automatise des tâches comme le tri des courriels ou l’analyse de données. Bryan Bredier insiste sur la dimension sécurisée de son assistant et explique ne pas collecter les données qui transitent par Léon afin de préserver la confidentialité des informations sensibles.
Une cinquantaine d’entreprises se servent déjà de cet outil pour gagner du temps dans leurs activités marketing ou commerciales. Léon possède également des modules d’apprentissage adaptatif : plus l’utilisateur interagit avec lui, plus l’IA filtre ses suggestions pour la rédaction de documents, la synthèse de rapports ou l’analyse de fichiers volumineux. Les retours montrent que la productivité peut croître sur certaines tâches répétitives.
D’autres startups locales se concentrent sur la maintenance prédictive dans l’industrie aéronautique ou la surveillance énergétique des bâtiments, fournissant des algorithmes capables de détecter des anomalies avant qu’elles ne fassent des incidents coûteux. Ces innovations s’inscrivent dans des écosystèmes collaboratifs, comme Aerospace Valley ou les incubateurs régionaux, favorisant le partage de données et l’expérimentation. Les formations et hackathons organisés par la métropole et les acteurs économiques permettent aux dirigeants et salariés de tester ces technologies dans un cadre sécurisé, pour favoriser l’adoption progressive et responsable de l’IA.
Médias et formation, les usages et les alertes des journalistes
Daniel Fallet, journaliste et formateur basé en Occitanie, observe que les étudiants en journalisme ont souvent du mal à formuler des requêtes efficaces. Le journalisme toulousain s’adapte également à l’IA. Les rédactions utilisent déjà des outils génératifs pour des tâches de recherche documentaire, de mise en forme ou de rédaction courte. Il rappelle que l’IA fonctionne davantage dans une logique d’échanges successifs que face à un ordre unique. Il met en garde contre la tentation de confier des informations confidentielles à ces systèmes et souligne la nécessité de consulter chaque contenu produit. Pour lui, l’IA est un outil d’assistance qui libère du temps pour des activités à plus forte valeur ajoutée comme le terrain ou l’enquête.
À Toulouse, les écoles de journalisme ont commencé à enseigner la « détection des hallucinations » produites par les IA génératives et à initier les étudiants au « dialogue engineering », cette pratique consistant à poser des questions, reformuler et ajouter des contraintes successives pour avoir des réponses fiables. Salima Benhamou (France Stratégie) souligne l’importance de cette formation : il faut « assurer la formation des travailleurs aux enjeux de l’IA » et rendre le personnel conscient des défis techniques, juridiques et éthiques. Des ateliers pratiques et MOOC régionaux sont régulièrement mis en place, permettant aux étudiants et aux professionnels de s’exercer à guider les IA plutôt que de se contenter de requêtes statiques.
La vidéo ci-après présente l’intervention de Daniel Fallet, qui revient sur les transformations du travail et les enjeux liés à l’IA :
Les médias qui n’adoptent pas les outils d’intelligence artificielle vont perdre du terrain
Benoît Raphaël, une vision de terrain sur les usages, les dérives et les bonnes pratiques
Juste après cette analyse de Daniel Fallet, il est important d’entendre le point de vue de Benoît Raphaël, entrepreneur reconnu dans l’innovation média et l’IA, notamment fondateur de Flint, une plateforme de veille nourrie à l’intelligence artificielle.
Benoît Raphaël défend depuis plusieurs années une approche « réaliste » de l’IA, loin des discours technophile ou alarmiste. Pour lui, l’intelligence artificielle n’est ni magique ni autonome, et ses performances dépendent entièrement de la façon dont les utilisateurs interagissent avec elle. Il souligne l’importance de l’échange avec la machine, rejoignant ainsi Daniel Fallet lorsqu’il rappelle que l’efficacité de ces outils repose sur des allers-retours plutôt que sur des instructions uniques.
Il met également en garde contre ce qu’il appelle le « mythe de l’automatisation totale ». Selon lui, l’IA est performante dans la génération de texte ou l’analyse rapide de données, mais elle reste souvent limitée dans sa compréhension réelle du sens, de la nuance ou du contexte. C’est la raison pour laquelle il insiste sur la fonction indispensable de l’humain dans l’interprétation, la vérification et la prise de décision. Benoît Raphaël considère l’IA comme un « partenaire intellectuel très imparfait » et précise que « les IA ne sont pas des collaborateurs humains, ce sont des profils atypiques » dont le fonctionnement interne reste probabiliste.
Il souligne également des risques liés à l’utilisation de modèles non contrôlés, en particulier lorsque des organisations s’appuient sur des outils étrangers, partageant malgré elles leurs données. Il met en avant la nécessité de solutions souveraines et de cadres institutionnels clairs, rejoignant les préoccupations déjà présentes dans les entreprises toulousaines et les démarches d’initiatives locales comme CapitoleAI. Enfin, il défend l’idée que l’IA peut devenir un outil d’automatisation si les utilisateurs apprennent à s’en servir intelligemment : expérimenter, comprendre les limites, intégrer l’IA comme un partenaire mais jamais comme substitut à l’esprit critique.
La vidéo située juste en dessous donne la parole à Benoît Raphaël, qui y détaille sa manière d’aborder l’IA et ses usages concrets :
De journaliste à expert IA avec près de 100 000 abonnés – Interview de Benoit Raphael
Toulouse illustre la façon dont un territoire peut accueillir l’IA dans des secteurs variés tout en conservant une vigilance sur les usages. Qu’il s’agisse des transports, de la santé, de l’environnement ou des médias, Toulouse devient un laboratoire de solutions concrètes. Les retours montrent la nécessité de conserver un équilibre entre efficacité technologique, contrôle humain, sécurité des données et formation.
L’enjeu est également social, économique et stratégique. Les industries aéronautiques, spatiales et ferroviaires, les services financiers et énergétiques, ainsi que les collectivités locales utilisent l’IA pour résoudre des problèmes complexes. Toulouse Métropole a par exemple pu mesurer des gains significatifs sur la fluidité et la sécurité de ses axes routiers grâce aux feux adaptatifs, alors que des entreprises locales constatent une réduction de leurs factures de traitement des déchets après avoir déployé le tri assisté par IA.
En parallèle, Toulouse adopte une démarche mesurée : on investit massivement dans la formation, on sécurise les données et on garde l’humain dans la boucle. Comme le rappelle Salima Benhamou, « ce n’est pas la technologie en elle-même mais la façon de la déployer qui déterminera l’avenir du travail ». Les initiatives toulousaines visent un équilibre : développer la performance (réduction des coûts, innovation) sans déshumaniser le travail.
Finalement, ce sont certainement les professionnels capables de dialoguer le mieux avec l’IA, combinant savoir-faire humain et intelligence artificielle, qui seront les mieux équipés pour les métiers de demain. Toulouse, forte de son environnement scientifique, de ses startups locales, de ses laboratoires de recherche et de ses initiatives pédagogiques, s’inscrit ainsi dans une volonté d’innovation réfléchie, collaborative et sécurisée, où l’IA devient un allié pour la productivité et l’expertise humaine plutôt qu’un simple outil automatisé.
Paul Sirben


