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Le chien dans la chasse : entre tradition, évolution et compréhension

Habile et malin, le chien apprend à s'adapter au gibier qu'il chasse.

La chasse est une pratique en constante évolution, “la chasse à courre”, et “la chasse au bâton” en sont le bon exemple. Ces nouvelles façons de voir la chasse amènent à tourner plus le regard vers le chien. Elles permettent d’observer au mieux leur manière de se comporter en groupe dans la poursuite du gibier. Les deux activités n’ont pas le même but. L’une amène le groupe à venir à bout de l’animal alors que l’autre tente simplement de faire travailler la meute sans venir tuer la cible. La pratique plus douce permet plus d’étudier le comportement canin. Dans tout cela, le rôle du chasseur va être plus axé sur l’accompagnement du chien dans la maitrise de ses sens. Ces nouvelles pratiques nous amènent à considérer le chien comme le chasseur.

Depuis les premières sociétés humaines, la chasse avec des chiens occupe une place centrale dans l’histoire des relations entre l’homme, la nature et le monde animal. Bien avant l’apparition des armes modernes, les chiens ont été les premiers véritables compagnons de chasse, capables de suivre une voie, de lever un animal ou de mener une poursuite organisée. Dès l’Antiquité, des auteurs comme Xénophon décrivaient déjà des techniques très élaborées fondées sur l’instinct du chien, la complicité avec le conducteur et la connaissance fine du territoire. À l’origine, la chasse avec des chiens servait à la fois à nourrir les communautés, à protéger les cultures ou les troupeaux en régulant certaines espèces, et à affirmer une maîtrise du territoire. Mais elle devint aussi rapidement un indicateur de statut social : dans l’Europe médiévale et moderne, la vènerie était un symbole fort de l’aristocratie, codifiée, ritualisée, entourée d’un savoir-faire transmis de génération en génération.

Une tradition qui se poursuit

Aujourd’hui encore, les grands styles de chasse avec des chiens trouvent leurs racines dans ces traditions anciennes. La vènerie dont la chasse à courre en est l’exemple le plus emblématique : “On a une meute qui poursuit le plus longtemps possible l’animal pour le fatiguer et l’attraper”, explique Patrice Faure chasseur expérimenté en Haute-Garonne et membre de l’association Harloup. Elle se pratique souvent à cheval, et les chiens poursuivent un animal sauvage, comme le cerf, le sanglier ou le lièvre, jusqu’à son épuisement. “À la fin, les veneurs […] offrent le gibier aux chiens. C’est une pratique ancienne qui est issue des seigneurs et des rois de l’époque qui chassaient notamment le cerf”, conclut Patrice.
Elle exige un dressage complexe, une grande coordination de la meute et un sens aigu de la lecture du terrain. D’autres formes de chasse utilisent également des chiens courants, mais associées à des armes à feu : les chiens lèvent le gibier et le conduisent vers les postes où les chasseurs attendent. À l’inverse, le coursing, fondé sur les chiens de vue comme les lévriers, s’appuie davantage sur la vitesse et la poursuite “à vue” du gibier, témoignant d’une autre manière d’utiliser les capacités canines.

L'un des chiens observe patiemment afin de trouver la proie
L’un des chiens observe patiemment afin de trouver la proie.

Ces pratiques ont évolué au rythme des sociétés. Dans un monde plus urbanisé, où les attentes envers la nature, la protection animale et l’éthique de la chasse changent, les chasseurs ont dû repenser certaines approches. Pour beaucoup, la chasse avec des chiens n’est plus exclusivement tournée vers le prélèvement : elle est devenue une manière d’observer, de comprendre et de valoriser le travail canin. La relation entre l’homme et le chien, le plaisir d’écouter une meute, l’émotion de suivre une recherche complexe dans la forêt sont souvent plus importants que la prise en elle-même. La chasse avec chiens représente aujourd’hui un mélange de tradition, de gestion de la faune sauvage, de passion cynégétique et de lien social, notamment dans les zones rurales où elle structure encore la vie associative.

La chasse au bâton, une pratique révolutionnaire

C’est dans ce contexte contemporain qu’est apparue, dans les années 1980, la chasse au bâton, une pratique originale née dans certaines régions du Sud-Ouest de la France. Face à la diminution des populations de lièvres et à la fermeture du tir dans de nombreux territoires, certains chasseurs ont voulu trouver une manière de continuer à faire travailler leurs chiens sans abattre d’autres animaux. Le principe est simple : le chasseur ne porte pas d’arme, seulement un bâton qui lui sert d’appui sur les terrains accidentés. “C’est une chasse “noble” on va dire (dans le sens non létale)”, précise Patrice Faure. Les chiens courants sont alors lâchés sur la voie du lièvre, qu’ils poursuivent comme lors d’une chasse traditionnelle, mais sans qu’il y ait de tir à l’issue. L’objectif n’est plus de tuer l’animal, mais de suivre, de comprendre, d’apprécier la qualité du travail des chiens et la complexité des trajectoires du gibier dans le paysage.

Rapidement, cette forme de chasse dite “no-kill” a trouvé un public large. Les premiers concours de meutes au bâton sont apparus à la fin des années 1980, permettant de juger les chiens sur leur quête, leur discipline, leur manière de conduire la voie ou de relancer après une perte. Cette chasse devient alors une véritable école d’observation et de lecture du territoire : “elle permet aussi aux animaux d’améliorer leur stratégie, d’utiliser plus de ruses”, ajoute Patrice. En retirant la dimension du tir, elle offre une vision plus douce de la chasse, centrée sur l’animal et le chien plutôt que sur la prise. Aujourd’hui, la chasse au bâton est reconnue, organisée, soutenue par des associations, comme Harloup. Ceci constitue une alternative appréciée à la chasse classique, tout en conservant la richesse technique et culturelle de la cynégétique.

La chasse au bâton, une vision différente de l’éducation du chien

La chasse au bâton apporte son lot de spécificités quant à l’éducation et l’utilisation du chien dans cette pratique. L’animal a son propre rôle lié à ses aptitudes spécifiques, et peut aider à sa manière le groupe afin de poursuivre le lièvre. Parmi ces capacités on retrouve les sens du chien, l’ouïe, l’audition, l’odorat, la vue, le goût et le toucher. Ils sont primordiaux pour mener à bien la poursuite. L’éducation est donc centrale dans cette activité et elle permet de bien faire fonctionner toute une troupe. Pour se concentrer plus sur l’éducation du chien, les jeunes pousses apprennent le métier directement sur le terrain et durant les parties de chasse. L’éleveur constitue autour des jeunes un noyau de chiens expérimentés. “C’est toujours important d’avoir un noyau de chiens qui soit sérieux, cela permet d’éduquer les plus jeunes” explique Patrice Faure. Ce sont eux qui transmettent les comportements efficaces. Les nouveaux apprennent en observant comment les chiens plus âgés remontent une piste, contournent un obstacle ou relèvent une ruse. En effet, l’un des avantages de cette chasse est que la proie, souvent le lièvre, adopte différents comportements pour tromper la meute de chien.

La meute de chiens attend de pouvoir partir à la chasse.
La meute de chiens attend de pouvoir partir à la chasse.


Durant cette activité, Patrice Faure observe ce type de comportement. C’est lors d’une de ses dernières sorties que son groupe de chien, ayant repéré la proie, se mit en course poursuite d’un lièvre. Alors que le lièvre les amène dans la forêt, les chiens poursuivent la bête pendant trois quarts d’heure. Alors loin de la forêt, le propriétaire des chiens tente de comprendre la situation et pourquoi la chasse prend autant de temps. Il utilise un outil connecté à leur collier pour connaître leur position et observe que le groupe tourne en rond.
Ce comportement est directement lié à l’un des stratagèmes entrepris par le gibier. Celui-ci tourne en rond afin de retourner sur ses pas pour amener les chiens à confondre les odeurs de ses passages. Ce genre de situations amène les chiens à s’égarer et perdre la trace du gibier. Le maître des chiens tente de les rappeler grâce à une corne faisant résonner à lui seul tous les champs avoisinants.

La meute de chien, un jeu de rôle

Il y a environ cinq rôles différents disponibles pour le chien. Ceux-ci sont définis par les aptitudes naturelles du chien, elles sont de naissance et difficilement additionnable avec d’autres capacités. Il y a donc des cas où les chasseurs manquent de certains types de chien et viennent donc à échanger entre eux certains de leurs animaux pour compléter leur meute. C’est le cas de Patrice Faure qui peut être amené à demander un chien à des confrères chasseurs pour remplacer le rôle manquant dans son groupe.
“Généralement, on se retrouve entre amis, pour faire des échanges” explique le chasseur.
D’abord dans une meute, il y a les chiens spécialistes, aussi appelés les rapprocheurs. Dans cette activité, ils ont le rôle du professionnel de l’analyse des odeurs faibles, anciennes, et souvent interrompues par les intempéries. Il y a deux odeurs différentes émises par les proies. “D’abord, il y a ce qu’on appelle le champ odorant, c’est-à-dire l’odeur que dégage son corps, et ensuite celle avec leurs pieds sur le sol.” explique Patrice Faure.
Ensuite, on retrouve le rôle du chien lanceur, il est à l’origine du début de la course contre la proie. Il lance la cible afin de la poursuivre.
Dans la lignée du chien rapprocheur, le chien de route**, lui, s’affirme** par sa capacité à pouvoir poursuivre les odeurs même sur les surfaces difficiles telles que le goudron, où l’odeur disparaît très vite. Lors de la course poursuite, le chien de tête s’exprime. Il est l’animal le plus rapide de la troupe, il donne le rythme. Parmi toutes ces catégories, certains arrivent à s’extraire d’un rôle en particulier et deviennent beaucoup plus polyvalents. Ce sont des chiens intelligents qui arrivent à maitriser toutes les étapes d’une chasse. « C’est vraiment une équipe de foot avec des défenseurs » affirme Patrice Faure.

Déplacer les chiens vers le terrain de chasse

Amener des chiens pour chasser comporte quelques étapes clés. D’abord, l’animal doit se déplacer de son enclos au véhicule adapté. Il est habitué dès le plus jeune âge à obéir pour se diriger là où le chasseur le souhaite, sans être dissipé. Arrivé au camion, celui-ci doit attendre l’installation du collier GPS indispensable pour mener à bien l’activité. La camionnette est équipée dans son coffre d’une cage spacieuse pour transporter le groupe. Celle-ci est faite sur mesure et contient une gamelle d’eau et de nourriture pour les chiens pendant le trajet.
Arrivés tôt le matin sur le terrain, les chiens doivent retrouver les traces laissées par le lièvre, à la recherche de nourriture, pendant la nuit. C’est une étape cruciale, souvent longue, car ils remontent parfois plusieurs heures d’odeurs. Les rapprocheurs reprennent le relais pour analyser les odeurs afin de remonter jusqu’au gîte. Le maître chien, disposé plus loin, observe sa troupe, mais n’intervient pas. Il peut aider seulement quand les chiens ne parviennent pas à trouver un quelconque indice de la présence du gibier. L’animal enfin découvert, c’est la course qui en découle. Lors de cette étape, les chiens communiquent au maximum entre eux, en aboyant, pour ne pas perdre la cible. Cet avantage peut devenir un inconvénient puisque les plus petits membres du groupe peuvent amener à donner de fausses indications. Comme expliqué précédemment, lorsque le lièvre utilise la ruse de brouiller ses odeurs, les plus jeunes peuvent tomber dans le piège et envoyer le signal qu’ils ont retrouvé la cible. Ce type d’action peut amener le groupe à définitivement perdre la proie.

“Il arrive parfois […] que des chiens meurent…”

Néanmoins, la pratique de la chasse est risquée. Que ce soit durant les poursuites ou lors de face-à-face contre une proie, les chiens risquent de se blesser voire perdre la vie. “Il arrive parfois que lors de chasses à courre des chiens meurent suite à des blessures causées par un sanglier ou un cerf” raconte Patrice Faure. L’association Argos 42 porte un regard attentif sur les animaux domestiques et en particulier sur les chiens dans la chasse. “Nous sommes totalement opposés à la chasse à courre puisque, quoi qu’il en soit, dresser des animaux pour aller en tuer d’autres, cela reste, pour nous, abject” confie une bénévole. Ils se battent tous les jours pour lutter contre la maltraitance animale. Encore aujourd’hui l’association reçoit de nombreuses plaintes de riverains alertant sur la condition de certaines meutes. “On a énormément de témoignages selon lesquels bon nombre de chasseurs ne considèrent pas leur chien comme des animaux de compagnie. Ils les laissent vivre n’importe comment dans des enclos”, raconte une bénévole. “Les chiens de chasse sont enfermés dans des chenils sordides, ont à peine de la place pour bouger et n’ont pas d’eau !” s’insurge-t-elle. Malheureusement, l’association n’est pas en mesure d’agir et n’a qu’un rôle de donneur d’alerte. La bénévole déplore le manque de compassion chez certains chasseurs : “Il y a trois chiens qui sont décédés, le lendemain, ils sont déjà remplacés”.
Malgré tout, elle reste consciente que tous les chasseurs n’agissent pas de cette façon.D’un point de vue purement technique, purement biologique, les chiens ont besoin de courir, de faire du sport ou de l’activité, ce qui revient au même.”

Les chiens traquent les odeurs des lièvres.
Les chiens traquent les odeurs des lièvres.

Du côté du vétérinaire, M. Parisot, l’avis est plus contrasté. Même s’il déclare ne pas vraiment avoir d’avis sur les bienfaits ou non de la chasse sur les chiens, il ne fait pas non plus partie de ses détracteurs. Il admet, toutefois, qu’il peut y avoir des risques pour l’animal : “Des chiens blessés, j’en ai que lorsqu’il y a de la chasse au gros gibier.”

Dans la chasse contemporaine, le chien n’est plus un simple auxiliaire : il devient l’acteur central du dispositif. Chaque rôle structure la dynamique de la meute. L’apprentissage se fait d’abord entre chiens, par imitation, correction et transmission des automatismes. Les poursuites révèlent l’intelligence collective de la meute, mais aussi sa vulnérabilité face aux ruses du gibier. Les outils modernes, comme les colliers GPS, replacent le chasseur en observateur plutôt qu’en guide permanent. La chasse au bâton renforce encore cette place du chien en supprimant l’enjeu du prélèvement. Le plaisir du chasseur se déplace vers l’écoute, la lecture des aboiements et l’analyse du travail des animaux. Cette valorisation n’efface pas les risques physiques auxquels les chiens sont exposés. Elle ne masque pas non plus les critiques liées aux conditions de détention de certaines meutes. Les discours des défenseurs du bien-être animal et les observations du vétérinaire soulignent une réalité contrastée : le chien peut être à la fois un athlète respecté et un animal parfois négligé. Ce paradoxe fait du chien le point de tension majeur entre tradition cynégétique, éthique moderne et responsabilité humaine.

Ilan Grisolia et Bastien Daydé






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