Longtemps considéré comme un simple loisir, le sport est désormais reconnu comme un véritable outil thérapeutique en oncologie. Les bienfaits sont nombreux : accélération de la rémission, baisse du risque de récidive, meilleure tolérance aux traitements, diminution de la fatigue. L’Activité Physique Adaptée (APA) est, aujourd’hui, un soin de support prescrit par les médecins et validé scientifiquement.
Pour mettre à bien cette nouvelle technique, ce sont des centaines de personnes qui se sont mises à la recherche. Des chercheurs, des associations, des clubs sportifs, des soignants… mais aussi des patients qui témoignent de son efficacité.
Chaque année, 382 000 nouvelles personnes sont diagnostiquées atteintes d’un cancer en France, d’après une étude réalisée par Santé Publique France en 2024. Cela représente environ 204 000 hommes et 178 000 femmes. Parmi eux, Sophie, Marianne, Pascal, Magali, Josette, et bien d’autres. Tant de gens que l’on salue en sortant de chez soi, que l’on croise au travail, en faisant ses courses, l’ami d’un ami ou un membre de sa famille, un parent, un conjoint, un enfant.
« Apprendre que l’on est atteint d’un cancer, c’est se retrouver face à une page blanche, des doutes et une question : comment guérir au mieux ? », confie Josette, atteinte d’un cancer de la hanche en 2021 et aujourd’hui en rémission. En France, selon l’Institut National du Cancer, les pathologies les plus fréquentes restent le cancer colorectal, du sein, de la prostate et du ou des poumons. Face à ces chiffres encore trop importants, l’enjeu n’est plus seulement de soigner le cancer, mais de trouver de nouvelles méthodes pour permettre d’augmenter les chances de survie et réduire les rechutes.

Crédit : Lou Deneuville
« L’activité physique m’est apparue comme un remède miracle »
Depuis 1990, Santé Publique France a constaté une nette diminution du taux de mortalité. « En 2018, pour environ 382 000 nouveaux cas de cancer, 157 000 décès ont été recensés. Avant 1990, c’était le double pour les femmes ». Un miracle ? Et non, depuis le début des années 2000, la France s’est dotée de nouvelles méthodes de dépistage, de programmes de diagnostics plus précoces et de traitements ciblés et donc plus efficaces.

« Pendant longtemps, l’idée que le sport puisse constituer une forme de traitement marginale », explique Marianne, guérie de son cancer du sein. Pourtant, plus de 15 ans de recherches internationales ont complètement transformé le regard sur la cancérologie. En 2016, une loi de modernisation du système de santé introduit une avancée décisive : les médecins peuvent prescrire une Activité Physique Adaptée (APA) aux personnes atteintes d’une affection de longue durée, dont le cancer. Ce changement a ouvert une nouvelle ère : celle de l’inclusion d’une activité physique dans le parcours de soin.
« Aujourd’hui, les bienfaits d’intégrer le sport dans un suivi cancérologique ont été prouvés. L’activité physique permet de limiter en grande partie les effets secondaires des traitements et de diminuer les risques de mortalité et de récidive », explique Théo Bouladou, coach des Rubies, un club de rugby adapté toulousain. Avant la connaissance de ces bienfaits, la recommandation médicale se composait presque exclusivement d’exercices prescrits par le kinésithérapeute et surtout : de repos. « Avant, on considérait qu’il valait mieux pour le patient de ne pas se risquer à une activité physique que l’on qualifiait de trop fatiguante et ou affaiblissante », explicite Lise Catalan, coach en APA avec l’association CAMI, premier réseau national alliant sport et santé.

Réduire la fatigue grâce au sport
La fatigue liée au cancer (appelée cancer-related fatigue) est l’un des effets secondaires les plus invalidants. Faiblesse physique, effondrement moral, douleurs musculaires, perte d’énergie, vivre avec une pathologie cancéreuse implique un long parcours de soin aussi changeant qu’il y a de patients. « Certains jours, on se sent au top de nôtre forme, on peut jouer vingt minutes sans s’arrêter. D’autres, on a le corps qui nous tire, les muscles qui nous lancent. En fait, notre quotidien est rythmé par nos traitements, il y a des jours avec et des jours sans », confie Magali, joueuse des Rubies.
Depuis 2020, des études de la Haute autorité de santé (HAS), de l’Association francophone des Soins oncologiques de Support (AFSOS) et de l’Institut Curie ont prouvé l’efficacité remarquable de l’activité physique adaptée sur la fatigue des patients. «L’APA diminue la fatigue des patients en traitement de 25% à 40% ». Suite à ces études, de nombreux patients et praticiens ont noté des améliorations au niveau de la tolérance à la chimiothérapie et à la radiothérapie, notamment au niveau du sommeil, de sa qualité et de sa durée.

En quoi consiste l’APA (Activité Physique Adaptée) ?
L’Activité Physique Adaptée (APA) n’est pas une prescription sportive classique, c’est une méthode sportive progressive et encadrée. En France, des instituts et centres de recherche se sont penchés sur l’efficacité et le fonctionnement de l’activité physique comme compléments des traitements de cancers. Parmi eux, l’institut Curie, qui propose et étudie les programmes d’APA gratuits depuis 2011 avec des suivis personnalisés, des études cliniques et des partenariats associatifs. Le centre Léon Bérard est également impliqué dans cette recherche. Leur étude ABLE mesure les effets biologiques et cliniques de l’activité physique pendant le cancer.
Les résultats de cette étude sont significatifs. Après six mois, les principaux mécanismes efficaces identifiés grâce à l’APA sont une claire diminution des marqueurs inflammatoires, une augmentation des cellules immunitaires, l’amélioration de la circulation sanguine dans les tumeurs et la potentielle réduction de la masse graisseuse (facteur aggravant pour plusieurs cancers). Pour l’après cancer et les patients qui sont en rémission, l’activité physique adaptée favorise également la diminution des effets secondaires des chimiothérapies.

« On accompagne 3 500 patients chaque semaine avec la CAMI »
Réel processus de compréhension, d’apprentissage et de soins personnalisés avec le patient, l’APA comprend plusieurs étapes. « D’abord, le professionnel de santé fait un bilan initial avec une évaluation des problématiques récurrentes du patient (basé sur des bilans précédents de ses suivis médicaux). On évalue donc la fatigue, les douleurs, la force, la mobilité et les traitements en cours. Ensuite, on détermine une adaptation personnalisée ; avec des exercices sur des zones ciblées », explique Lise Catalan, coach CAMI. « Aujourd’hui, la fréquence des séances est de deux fois par semaine pour chaque patient mais varie en fonction de leurs disponibilités et de leur suivi avec les autres praticiens. », ajoute la coach. Les séances se font ensuite en continu par un enseignant spécialisé (E-APA), et un ajustement régulier est fait selon l’évolution du patient.
A Toulouse, l’association CAMI Sport et Cancer agit en étroite collaboration avec l’Oncopole et des cliniques privées pour permettre à des centaines de patients d’allier la pratique sportive avec leur traitement. Créée il y a 25 ans par Jean-Marc Descotes, ancien sportif de haut niveau, et le Dr Thierry Bouillet, l’association et ses engagements ont été confirmés par de nombreuses études, lui permettant de se développer dans toute la France. « Aujourd’hui, la « CAMI accompagne environ 3 500 patients chaque semaine, grâce à une trentaine de praticiens spécialisés présents dans près de 80 lieux de soins », d’après leur site.
Son modèle s’organise en trois étapes : à l’hôpital pour les patients en début ou en cours de traitement, en ville pour poursuivre l’accompagnement, puis via des programmes ouverts aussi aux anciens patients et à leurs proches. Toutes les séances sont encadrées par des professionnels spécifiquement formés au sport en cancérologie. Les objectifs de leurs programmes sont clairs : réduire les effets secondaires, améliorer la rémission, restaurer les capacités physiques, guider les patients dans une activité régulière et renforcer leur résilience mentale.

Chaque séance est réalisée en adéquation avec les parcours de soins personnalisés de chaque patients. Les exercices sont validés en amont par les kinésithérapeutes, médecins oncologies et préparateurs sportifs.
Crédit : Lou Deneuville
« À chaque patient son activité »
Selon la CAMI Sport & Cancer, 74 % des malades maintiennent ou reprennent une activité sportive pendant leur traitement. Les sports les plus pratiqués varient en fonction du besoin, et de ce que le praticien recommande au patient. Ils vont de la marche, l’activité la plus accessible et la plus efficace, au yoga, utile pour la gestion du stress et la respiration, en passant par la natation ou l’aquagym, une activité physique intense mais idéale pour faire travailler les articulations et l’endurance.
Au fil des années, ces propositions se « modernisent » et deviennent plus spécifiques et ludiques ; tai chi, boxe adaptée, marche nordique, escalade. Toutes ont le même but : faire travailler le corps du patient de manière ciblée, tout en le faisant sentir en confiance, le tout encadré par des professionnels de santé et de l’activité physique. « Le club des Rubies de Toulouse a été fondé par des professeurs de santé, chirurgiens et oncologues. Quand on rentre dans la réalité des choses, c’est important d’être en contact avec des personnes qui suivent au quotidien nos joueurs et joueuses, ils ont un regard différent du nôtre et c’est là qu’entre en jeu cette complémentarité », développe Théo Bouladou, coach des Rubies Toulouse et membre des Rubies France.
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Le Stade Toulousain : quand un club de rugby devient un acteur majeur de la santé
Depuis 2018, le Stade Toulousain s’engage aux côtés de l’Institut Universitaire du Cancer de Toulouse, de la CAMI Sport & Cancer et de Malakoff Humanis pour accompagner les patients atteints de cancer grâce à l’activité physique thérapeutique, encadrée au stade Ernest-Wallon. Ce partenariat unique en France permet aux malades et aux enfants du CHU de Purpan de bénéficier de séances sportives adaptées. Celles-ci sont alors prescrites par les médecins et animées par des professionnels spécialisés.
Début octobre, lors de la 21e nuit du rugby, le Stade a reçu le Trophée de l’Engagement Sociétal, sept années après le début de ce programme. Au-delà de la récompense, cette distinction met en lumière tous les acteurs du programme: équipes médicales et paramédicales, praticiens en thérapie sportive, mécènes et patients. « Ce trophée a récompensé un travail collectif, engagé et profondément humain. Il incarne l’essence même du rugby: le partage, la solidarité et le dépassement de soi », avait déclaré Didier Lacroix, président du club et de Fond de Dotation. À Toulouse, ce programme s’est ancré comme un symbole. Permettre aux patients d’entrer dans une structure sportive reconnue et inspirante, c’est créer une expérience marquante dans une ville où le ballon ovale règne en maître.

« Je voulais me prouver que mon corps en était capable »
Gravir le Kilimandjaro, même en ayant un cancer, c’est un défi qu’a su relever Vanessa Morales, et plus d’une fois. Sportive de haut-niveau française spécialisée dans le « speed-climbing » et les expéditions à haute altitude, Vanessa parcourt le monde pour gravir des sommets, tous plus hauts les uns que les autres. Ascension du Mont Olympe, ultra-marathon du Vésuve, détentrice du record féminin du Kilimandjaro, c’est une fine connaisseuse du dépassement de soi.

Aujourd’hui, Vanessa Morales se distingue aussi par une activité parallèle à sa carrière de sportive: l’accompagnement de personnes malades ou en rémission, pour gravir le Kilimandjaro. « Tout a commencé avec Julien Thoraval, un ancien pompier professionnel atteint d’une tumeur cérébrale. Il voulait réaliser un défi personnel, je l’ai accompagné et j’ai vu l’effet salvateur qu’a eu cette ascension sur lui », confie Vanessa. Un défi, une leçon de vie, mais surtout, une nouvelle dynamique ! Après Julien s’en est suivi Olivier, un malade atteint du cancer en soins palliatifs qui à voulu réaliser le dernier vœu d’une vie, gravir le Kilimandjaro avec son fils. « Grâce à lui, on à récolter des fonds pour la recherche sur le cancer colorectal. Quand j’y repense, je me dis que je suis intervenue dans une histoire de vie mais aussi un parcours de soin », ajoute la sportive de haut-niveau.
« Le sport crée une passerelle de guérison psychologique »
Inclure une activité physique dans son parcours de soin, c’est aussi entamer un processus psychologique de guérison. « Au niveau moral, l’APA nous permet de nous réapproprier notre corps. On redécouvre des mouvement que l’on ne pouvait plus faire, ça redonne confiance en soi », confie un patient en rémission d’un cancer du quadriceps. « Ce qui est bien, c’est que l’on ne se sent pas jugé car nous avons tous des histoires similaires. On va tous à notre rythme, ça fait du bien au moral, on se sent moins seul face à la maladie », ajoute un joueur des Rubies.

Le club des Rubies a été fondé en 2017. Aujourd’hui, Théo Bouladou coach le club de Toulouse et participe à la dynamique nationale des Rubies, maintenant implantés dans plusieurs clubs de France.
Crédit : Lou Deneuville
Inclure l’aspect psychologique dans le parcours de soin, c’est aussi l’objectif des séances d’APA à la CAMI Sport et Cancer à Toulouse. Allant de pair, le sport est aussi un boost au niveau de la santé mentale, de l’anxiété et des potentielles dépressions liées à la maladie. « Le sport permet réellement de créer une passerelle avec la guérison psychologique. On organise des exercices en douceur mais aussi de la prise de conscience avec des exercices de respiration et méditation en fin d’atelier », explique Lise Catalon, coach CAMI. Les séances, souvent en groupe, sont bénéfiques grâce à l’efficacité des exercices mais également grâce au dialogue entre les patients et le praticien.
« Défier mon corps et mon esprit, vaincre mon cancer du sein »
À 48 ans, Sophie Moreau partage aujourd’hui son parcours avec le cancer lors de nombreuses prises de parole. « J’ai été diagnostiquée avec un cancer du sein en 2017. J’ai eu un parcours que l’on peut considérer de classique: chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie, hormonothérapie pendant six ans », confie-t-elle. De l’annonce de son cancer à la planification de son parcours de traitement, Sophie a vécu un parcours de « montagnes russes » avec des effets secondaires importants. Une porte de sortie, remède miracle, s’est offerte directement à elle: le sport. « J’ai tout de suite compris qu’il fallait que je reste en mouvement. J’ai bougé autant que je pouvais, les jours où je pouvais avec de la marche, un peu de course, de la marche nordique, ça m’a permis de me sentir vivante », ajoute Sophie.
Se réapproprier son corps et se prouver que l’on peut toujours réaliser des exploits, chacun à son échelle, c’est ce qui lui à permis de se mettre en action avec son activité physique adaptée. « Mes médecins m’ont tout de suite conseillé de marcher après mes séances de chimiothérapie car ça aide à diminuer et faire disparaître les effets secondaires plus vite ».
Sophie Moreau a combattu son cancer du sein de 2017 à 2023. Aujourd’hui, elle parcours les conférences pour partager son histoire à travers la maladie.
Crédit : Lou Deneuville

« Le cancer était une montagne que l’on m’a imposée, le Kilimandjaro je l’ai choisi »
En 2023, Sophie Moreau monte une équipe de neuf amis pour tenter l’ascension du Kilimandjaro, encadrée par Vanessa Morales, sportive de haut niveau. Leur objectif, récolter des fonds pour la recherche contre le cancer. « On a même créé notre association: Urafiki Juu, l’amitié au sommet », confie un proche de Sophie.
5 895 mètres plus tard, à la file du plus haut sommet d’Afrique, Sophie Moreau et toute son équipe l’ont fait, ils ont défié leurs corps, leurs esprits et prouvé que, cancer ou non, gravir le sommet d’une vie était possible. « Ce qui m’a frappé, c’est que les effets secondaires du mal des montagnes sont les mêmes que ceux de la chimio. Sauf que c’est là que je me suis dit, c’est mon moment, celui de défier mon esprit, mon corps, je connais ce mal et je l’ai déjà battu une fois », explique Sophie. À leur retour en France, 15 000 euros de dons récoltés grâce à des entreprises, mécènes, particuliers, tous réunis sous la bannière érigée par l’équipe Urafiki Juu: « Tout le monde a son Kilimandjaro à gravir ».

Récolter des fonds pour développer les Sport & Santé
En France, aucun budget n’est explicitement alloué au « sport oncologique ». Cependant, début septembre, les ministères des Sports, du Travail et de la Santé avaient dévoilé une feuille de route avec un budget d’environ 200 millions d’euros. « Aujourd’hui, le seul défi qu’il nous reste à surmonter, c’est de trouver assez de fonds pour permettre aux patients de la périphérie de Toulouse d’avoir accès aux même soins », explique Lise Catalan, coach CAMI. « Selon nos traitements, on ne peut pas forcément se déplacer donc on agit à notre échelle pour sensibiliser un maximum de gens à notre cause et récolter des fonds », ajoute une patiente. « Je prends régulièrement des flyers que je distribue dans des entreprises pour chercher des donations et peut être ouvrir de nouveaux centres dans les zones rurales », confie une autre patiente de l’atelier CAMI.
Lou Deneuville & Julie Akacha


