En cette fin d’année 2025, c’est l’un des musées les plus emblématiques de Toulouse qui va rouvrir ses portes : le Musée des Augustins. Entre restauration, aménagement des salles, parcours repensé, nouvelles acquisitions… Le musée illustre un défi majeur, partagé par les institutions patrimoniales : Quelles tensions existent entre conservation du patrimoine et modernité, et comment les concilier ?
Toulouse abrite un patrimoine historique d’une richesse rare. Façonné par des siècles d’évolutions urbaines, son centre ancien porte l’héritage d’une histoire architecturale exceptionnelle, qui fait de lui, l’un des plus remarquables de France. Sa fameuse brique foraine lui a même valu son surnom : “La Ville Rose”. Son centre historique, ses façades de brique, ses ruelles médiévales et ses hôtels particuliers forgent l’identité de la ville et fascinent autant ses habitants que ses visiteurs. Pourtant, cet héritage est sous tension. L’équilibre entre sauvegarde du bâti ancien et transformations urbaines reflète les défis d’une ville en pleine mutation. Entre conservation du patrimoine et nécessité de modernisation, Toulouse doit faire face aux défis d’une métropole qui évolue rapidement.
Une ville attractive
Toulouse séduit et attire de plus en plus. Avec une population de 511 684 habitants au 1ᵉʳ janvier 2022, la ville connaît une croissance soutenue, avec une hausse moyenne de 1,23 % par an entre 2016 et 2022. Si la tendance se maintient, Toulouse devrait bientôt devancer Lyon et devenir la troisième ville de France. Cette dynamique se confirme sur tous les terrains. D’après le Baromètre Arthur Loyd 2025, Toulouse est la ville la plus attractive de France, portée à la fois par sa vitalité économique et sa qualité de vie. Elle figure également à la première place du classement des meilleures villes étudiantes 2025. L’intérêt dépasse désormais les frontières : Le guide Lonely Planet a classé Toulouse n°1 des villes à découvrir en 2025. L’affluence touristique suit cette tendance. Les sites emblématiques affichent des fréquentations en hausse sur ces deux dernières années. Pour n’en citer que quelques-uns, la basilique Saint-Sernin, le site le plus visité de Toulouse avec 86 000 visiteurs en juillet, enregistre une progression de +3 % par rapport à 2024. La Halle de la Machine a vu une progression de +48 % en juillet et l’Aeroscopia affiche une progression de +20 % le même mois. D’après Toulouse Team, l’agence d’attractivité de Toulouse Métropole, le Tour de France 2025 aurait joué un rôle important dans cet engouement.
Le patrimoine toulousain sous tension
Face à une population croissante et à un tourisme en plein essor, la ville se transforme à grande vitesse. Les chantiers se multiplient, les routes barrées pour travaux et les échafaudages se font voir. La future ligne C du métro avance, la voirie se reconfigure… Cette effervescence urbaine traduit le dynamisme de la métropole tout en mettant en lumière la fragilité de son cœur historique. Le vieux bâti repose sur des matériaux anciens et sensibles : brique, molasse, terre cuite, bois. Ces matériaux réagissent à l’humidité, au temps, aux infiltrations, mais aussi « effets de sol, avec des gonflements ou rétrécissements d’argile », précise la conseillère municipale, Claire Nison. L’impact du changement climatique est également évoqué. Suite à l’effondrement d’un immeuble de la rue Saint-Rome en mars 2024 et aux évacuations successives, Claude Jam, expert en bâtiment auprès de la cour d’appel de Toulouse a rappelé qu’ « On est très loin d’une seule problématique qui expliquerait tout ». À la vétusté des matériaux s’ajoutent les travaux de voirie, les chantiers de transport, les rénovations accélérées et la densification du centre. Les bâtiments d’habitations ne sont pas les seuls concernés. Les musées doivent également faire face à cette vulnérabilité. Certaines rénovations s’avèrent nécessaires afin de protéger ses édifices historiques. Elles permettent également d’améliorer l’expérience des visiteurs, parfois au détriment de l’identité architecturale des bâtiments.
Un cadre pour protéger le centre historique
Face à ces enjeux, le Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV) tente de renforcer la protection du centre historique de la ville rose. Applicable depuis le 13 juin 2025, il dresse un état des lieux complet du patrimoine toulousain et dessine un projet urbain qui ne fige pas le cœur historique de Toulouse mais l’inclut pleinement dans les enjeux de la ville de demain et encadre sa transformation. Il couvre un périmètre de 256 hectares dans le centre historique, soit l’enclave patrimoniale majeure de Toulouse. Avec le PSMV, tout acte d’aménagement, de construction, de transformation ou de valorisation devra répondre à des règles et des prescriptions spécifiques qui garantissent une démarche d’urbanisme de qualité. Il donne à la Mairie de nouveaux outils pour lutter contre la fragilisation de certains immeubles du centre historique. Pendant l’inventaire, 25 signalements de situations de péril ont été faits entre 2018 et 2022. Pour toute autorisation d’urbanisme, un diagnostic structurel pourra être exigé pour modifier l’intérieur des immeubles, ou l’état des immeubles non bâtis (cour ou jardin par exemple).

Parallèlement au PSMV, il existe également une protection au titre des Monuments historiques. Fondée sur l’intérêt patrimonial d’un bien, elle permet d’assurer la protection, la conservation, la restauration et la mise en valeur, d’un immeuble ou d’un objet mobilier en raison de son intérêt historique, artistique, scientifique et technique. Il existe deux niveaux de protection au titre des monuments historiques : l’inscription et le classement. L’inscription s’applique aux monuments présentant un intérêt local ou régional. Le classement offre une protection plus stricte et concerne les monuments d’une importance exceptionnelle. À Toulouse, nombreux sont les édifices qui bénéficient de ce statut protecteur. Parmi eux, trois musées, différents l’un de l’autre, illustrent la complexité de ces défis.
Le Musée des Augustins : un chantier d’ampleur
Fermé pour rénovation depuis 2019, le Musée des Augustins s’apprête à rouvrir ses portes le 19 décembre 2025. Installé dans un ancien couvent du XIVe siècle, le Musée des Augustins est le musée des beaux-arts de la ville de Toulouse. Il est doté d’une riche collection de sculptures médiévales, de tableaux de très grand format des XVIIe et XVIIIe siècles de provenance toulousaine ou plus lointaine, et de peintures du XIXe siècle. Intégralement classé au titre des Monuments Historiques, l’architecture singulière du musée est le fruit de constructions et des remaniements opérés entre le XIVe et le XIXe siècles. Erigé au XIVe siècle pour l’ordre des ermites de Saint-Augustin, il a été transformé en musée à la fin du XVIIIe siècle, agrandi au XIXe siècle, modernisé au XXe siècle.
Ces dernières années, de nouveaux travaux se sont avérés nécessaires afin de résoudre des problèmes structurels, de garantir la bonne conservation du bâtiment et de ses collections et d’améliorer l’accessibilité du site. En plus de ces chantiers obligatoires, se sont ajoutés « des ambitions nouvelles : la construction d’un nouvel accueil, l’aménagement d’une nouvelle boutique, la rénovation du grand cloître du XIVe siècle, la refonte du parcours de visite, le renouveau des thématiques abordées, le choix d’une nouvelle identité visuelle », affirme Ghislaine Gemin, chargée de communication au Musée des Augustins.
Une façade moderne qui ne fait pas l’unanimité
Terminée à l’aube de l’été 2025, la nouvelle entrée contemporaine a déjà suscité de vifs débats. Cette nouvelle façade, conçue par l’agence Aires Mateus, offre au monument un rapport nouveau à son environnement. “Accessible, plus confortable, répondant aux normes des Musées de France, il permettra d’accueillir de façon plus fonctionnelle les visiteurs du musée”, affirme Ghislaine Gemin. Le matériau choisi par l’architecte est la pierre blanche de Dordogne. Elle remplace les briques roses qui constituait l’ancien mur et marque de façon visuelle et symbolique cette nouvelle porte aménagée et rompt avec l’historique du site et de ses environs. Elle apporte une touche de modernité bien marquée. Le contraste assumé entre le monument historique et cette nouvelle entrée contemporaine divise. Certains comme Juliette, 38 ans, sont optimistes. “Le Musée des Augustins à une histoire forte, il est tout de même abrité dans l’ancien couvent des Augustins et c’est ce qui fait tout son charme. Je suis curieuse de voir les rénovations qu’ils ont fait, en espérant que ça ne dénature pas le lieu. » Georges, 62 ans, ajoute “Les musées sont poussiéreux, il faut intéresser les jeunes avec de nouvelles propositions. Toulouse comparé à d’autres grandes villes n’ose pas moderniser. Le mur blanc des Augustins est le premier vrai renouveau. »


Un chantier en constante évolution
La restauration et l’aménagement de ce chantier ne sont pas terminés. Il se poursuivra tout au long de l’année 2026. Les zones nord et est du musée (l’église, les salles gothiques) resteront inaccessibles quelques mois encore et seront dévoilées au public à partir du mois de juin 2026. Le grand cloître des Augustins, particulièrement fragile en raison des dégradations liées à l’humidité et la pollution, fait l’objet d’un important programme de restauration. Les travaux sur ses colonnes et chapiteaux, occuperont le site jusqu’au printemps 2027. Cette restauration, encadrée par le PSMV, est soumise à des exigences architecturales précises.
Un investissement d’environ 14 millions d’euros
La métamorphose du Musée des Augustins représente un investissement considérable. Au total, le coût des travaux de rénovation du Musée des Augustins s’est élevé à environ 14 millions d’euros. Parmi cela :
- 5,2 M€ pour la nouvelle entrée,
- 3 M€ pour l’aménagement de la boutique et de l’espace de sortie,
- 6,1 M€ pour les travaux menés entre 2018 et 2022 (verrières, réserves, accessibilité, sécurité…),
- environ 5 M€ pour la restauration du cloître (toitures, murs, évacuation des eaux pluviales, réseau électrique…).
Un appel aux dons avait été lancé en novembre 2024 pour financer la restauration des colonnes et des chapiteaux du cloître. Pour financer ce chantier ambitieux, plusieurs institutions se sont mobilisés. La Ville de Toulouse, maître d’ouvrage, la Région Occitanie et L’État via DRAC ainsi que le mécénat privé et le financement participatif (crowdfunding) avec la Fondation du patrimoine.
Le musée Georges-Labit : un patrimoine fragile
Installé dans une villa d’inspiration mauresque conçue par l’architecte Jules Calbairac, le musée Georges-Labit est fermé depuis 2022. Cette fermeture fait suite à l’apparition de fissures dans les poutres porteuses du sous-sol, un phénomène aggravé par la canicule de l’été 2022. Selon Pierre Esplugas-Labatut, adjoint en charge des musées, ces « petites fentes » menaçaient la stabilité du plancher et ont conduit à l’évacuation préventive des collections. Le contexte géologique d’un sol argileux, à proximité immédiate du canal du Midi, accentue encore la vulnérabilité du bâtiment.
Les diagnostics menés depuis ont confirmé l’ampleur des travaux à engager. Lors d’une réunion en novembre 2024 avec les associations de riverains du Busca et de Monplaisir, la direction des musées de Toulouse a présenté une estimation budgétaire de 8,5 millions d’euros pour la consolidation structurelle et la refonte de la muséographie, en lien avec le Projet scientifique et culturel (PSC) porté par la municipalité.
Une modernisation nécessaire
L’Association des Amis du Musée Georges-Labit s’inquiète toutefois d’un possible report. Selon elle, faute de financement immédiat, la réouverture pourrait glisser jusqu’au prochain Plan pluriannuel d’investissement (2027–2032). L’élu en charge des musées assure pourtant qu’« il est hors de question de laisser tomber » l’institution et que le chantier figure bien dans le futur PPI. En attendant, la ville a dû reloger les œuvres : certains objets égyptiens ont rejoint le musée Saint-Raymond, d’autres ont été confiés au musée Guimet. Un récolement complet est en cours et une future plateforme en ligne pourrait permettre de valoriser virtuellement les collections pendant la fermeture.

Le PSC envisagé accorderait une place centrale aux arts asiatiques, cœur historique des collections du musée. Cette réorientation pourrait, selon les élus, renforcer la cohérence du projet. Sa mise en œuvre dépend toutefois de la sécurisation des financements. Les critiques portent principalement sur le rythme des engagements financiers de la mairie, jugé trop lent par certains observateurs.
Fondation Bemberg : Le défi d’adapter un hôtel particulier du XVe siècle
La Fondation Bemberg a affronté ces dernières années le défi d’adapter un musée installé dans l’Hôtel d’Assézat, chef-d’œuvre de la Renaissance. Fermée entre 2021 et 2023, l’institution a rouvert ses portes le 2 février 2024 après un vaste chantier mené sous la direction de l’architecte Philippe Pumain et de la nouvelle directrice Ana Debenedetti.
Pour Olivier Galanti, chargé des publics, la rénovation devait avant tout composer avec la nature même du lieu « L’Hôtel d’Assézat est classé monument historique, ce qui implique des contraintes dans une rénovation avec un certain respect du bâti. » Cette contrainte patrimoniale a orienté le chantier, principalement concentré sur les espaces intérieurs. « La rénovation s’est essentiellement faite dans les espaces du musée, dans les circulations liées à une nouvelle présentation des œuvres, et aussi à la rénovation de tout le génie climatique nécessaire pour le respect des règles d’hydrométrie », précise-t-il. L’objectif affiché était clair, améliorer le confort de visite et les conditions de conservation tout en préservant l’intégrité du monument.

Repenser les espaces intérieurs sans dénaturer
La muséographie a ainsi été entièrement repensée. Le parcours, désormais plus chronologique et lisible, accompagne le visiteur de la Renaissance au XXᵉ siècle, en cohérence avec l’esprit du collectionneur Georges Bemberg. Une billetterie-boutique a également été créée pour renforcer l’accueil et soutenir la pérennité économique du musée. Là encore, la démarche s’est faite dans la continuité architecturale : « Le parti pris a été de garder et conserver toute la structure du bâtiment et d’amener un accrochage modernisé par la présentation des œuvres », souligne Olivier Galanti.
Selon Le Journal des Arts, 6 millions d’euros ont été investis dans la rénovation. Une grande partie provient de la fondation elle-même, dont le statut est particulier. « La Fondation est abritée sous un bail emphytéotique dans le cadre de l’Hôtel d’Assézat, c’est un bail de location de longue durée, et c’est cela qui permet d’habiter le lieu. La Fondation est totalement indépendante et n’a aucune subvention de la Ville », explique Olivier Galanti. La municipalité a néanmoins contribué à hauteur de 500 000 € entre 2020 et 2024, selon un compte rendu du conseil municipal.
La direction artistique entend aussi profiter de ce « second souffle » pour élargir l’audience du musée. Son président, Alfred Pacquement, évoque une nouvelle visibilité accordée à la collection et un positionnement plus affirmé dans le paysage culturel toulousain. Le budget d’acquisition, d’environ 1 million d’euros par an, permet par ailleurs de poursuivre l’enrichissement des collections, dans le respect de l’esprit initial du fondateur.
Léa Cabanié et Marie-Léa Andrieux J2



