Compostelle n’est pas qu’un chemin, c’est un pèlerinage chargé d’histoire, de légendes et de rencontres qui marquent à jamais ceux qui l’empruntent. “On prend le chemin, mais c’est le chemin qui nous prend”, confie un pèlerin, résumant l’expérience unique que vivent chaque jour les marcheurs venus de tous horizons. À Toulouse, une association se consacre à guider et accompagner les voyageurs, offrant conseils, récits et informations pour que leur aventure sur ce chemin millénaire devienne inoubliable.
Les premiers jeudis du mois, l’association des amis des chemins de St Jacques en Occitanie (ACSJO) se réunit au 28 rue de la Dalbade dans le centre de Toulouse. En face de l’église Notre-Dame de la Dalbade, dans une petite salle, les bénévoles partagent leurs expériences sur le chemin, leurs anecdotes de voyage. Cette réunion accueille les curieux et les personnes qui souhaitent emprunter le chemin de Compostelle. Pendant ce temps d’échange, Joseph et Pierre posent leurs questions et expliquent leurs projets. Pierre raconte : “Je voudrais partir en avril 2027, je suis venu me renseigner et en savoir plus sur les gîtes qu’il y a sur le chemin”.

Un chemin aux racines profondes
Mais loin d’être un simple chemin, à l’origine se trouve un homme, Jacques le Majeur, un des apôtres les plus proches de Jésus. Les sources chrétiennes le présentent comme le premier apôtre martyr, exécuté à Jérusalem vers l’an 44. Sa trace disparaît ensuite des archives jusqu’au IXᵉ siècle. Dans la Galice du haut Moyen Âge en Espagne, un évêque local identifie un tombeau ancien comme celui de Jacques le Majeur. Selon la légende, une lueur mystérieuse sur les campus stellae, le “champ des étoiles” aurait guidé l’ermite Pélage vers le lieu oublié, donnant à Compostelle son nom.
Au fil du temps, l’influence de Compostelle grandit dans toute l’Europe. Cette ascension s’appuie aussi sur un document clé, le Codex Calixtinus, ce manuscrit rassemble récits, chants, recommandations et descriptions de routes. Entre les XIᵉ et XIIIᵉ siècles, le chemin devient l’un des grands flux de pèlerinage de l’Europe médiévale. C’est également à cette période que la coquille de Saint-Jacques va s’imposer comme le symbole du chemin. En effet, ce coquillage très présent sur les plages galiciennes va servir de preuve aux pèlerins qui les portent afin d’attester qu’ils ont réalisé le chemin et atteint le sanctuaire. Cependant, tout cela va s’interrompre brutalement au XIVᵉ siècle. La peste, les guerres interminables, les rivalités religieuses et les réformes protestantes assèchent le pèlerinage.
“Le plus dur, c’est de revenir”
Aujourd’hui, parmi les bénévoles présents autour de la table, Sylvette, retraitée et le sourire aux lèvres, parle de sa découverte des chemins et de ses divers voyages spirituels autour de l’Europe. “Je suis partie six mois, j’ai emprunté divers camino. Les rencontres brèves qui semblent souvent anecdotiques font la richesse du chemin.”
Les bénévoles sont présents de 14 heures à 17 h 30. Pendant ce temps d’échange, tout le monde a la place pour poser ses interrogations. Joseph le premier demande : “Comment vous vous y prenez pour réserver vos logements ?” À cette interrogation, il n’y a pas de bonne réponse mais Monique répond “personnellement je réservais toujours la veille pour le lendemain, je ne voulais pas être enchaîné à mes réservations. On ne sait pas ce qu’il va se passer sur le chemin, notre état de fatigue peut varier la météo aussi donc ça me permettait d’être beaucoup plus flexible.”

Dans cette petite salle réservée à l’association, des croix sont disséminées tout autour de cartes montrant les différents chemins à faire en Europe. Elles sont présentes pour montrer aux futurs marcheurs les différentes routes à suivre, les étapes les plus complexes autour de la région. Josette, bénévole à l’association, a passé 47 jours sur les chemins pour rejoindre Compostelle. Elle raconte sa plus grande difficulté : “Le plus dur c’est de revenir, puis dans une bulle pendant des semaines, et puis quand tu retournes chez toi, tu ne sais plus quoi faire de ta vie. Sur Compostelle, on est tellement libre dans notre tête et dans nos mouvements, toutes les questions qui nous trottaient dans la tête disparaissent.”
En plus de ces réunions mensuelles, l’association jacquaire propose une fois par mois une randonnée d’une journée sur le chemin. Autour de Toulouse, les membres de l’association sont présents pour guider la marche et les personnes qui souhaitent faire le chemin sont les bienvenus. Ils peuvent participer et, tout en marchant sur les sentiers de Compostelle, discuter et poser des questions sur le chemin.
L’association met en place une permanence à la basilique Saint-Sernin à Toulouse afin d’accueillir les marcheurs et les curieux. C’est Michel qui reçoit.
“D’une part, je reçois et de l’autre, je peux essayer de leur apporter quelques informations”
L’Association ACSJO organise du 1er avril au 31 octobre une permanence à la Basilique Saint-Sernin. Cet édifice culturel se situe sur la voie d’Arles. L’accueil, ouvert de 15 heures à 18 heures, s’adresse à la fois aux pèlerins en route et à ceux qui prévoient de partir prochainement.
Michel est l’un de ceux qui s’occupent de cette permanence. Dans une pièce près de l’entrée, une table et des chaises sont disposées pour discuter et tamponner son crédential : “C’est un document qui permet, au fil du temps, de se faire tamponner les étapes et de garder un souvenir de son chemin,” détaille Michel.

Impliqué dans l’association depuis son retour du chemin de Compostelle, il s’occupe principalement de l’accueil à la Basilique avec d’autres bénévoles qui se relaient au fil des après-midis : “On est à l’accueil pour pouvoir discuter avec eux, leur donner des informations sur la ville, quelques éléments complémentaires et des informations sur la suite, sur les quelques étapes ou encore sur les gîtes.”
L’accueil voit passer une petite dizaine de personnes par jour, à travers ces visages, des Français comme des étrangers viennent : “On reçoit un petit peu de différents pays… c’est très surprenant, mais c’est un échange qui est tout à fait remarquable.” Les motivations sont diverses : religieuses pour certains, de découverte et de randonnée pour d’autres. Cet accueil, Michel le chérit : “Il y a un échange qui est très positif dans les deux sens. D’une part, je reçois et de l’autre, je peux essayer de leur apporter quelques informations.” Pour ce bénévole, faire partie de cet accueil est un remerciement. Ce chemin lui a apporté, il veut le remercier. Ce rôle d’accueil, au cœur de la ville rose, reflète l’essor constant du pèlerinage, qui attire aujourd’hui des milliers de marcheurs venus du monde entier.
De 5 000 pèlerins en 1990 à 500 000 aujourd’hui
Depuis trente ans, le chemin de Compostelle renaît de ses cendres. Longtemps fréquentés par une poignée de pèlerins, avec moins de 5 000 personnes en 1990. Ils en attirent désormais de plus en plus : “il y a eu 500 000 arrivées à Santiago cette année” explique Marc Fonquernie. Ce rebond saisissant doit beaucoup à l’implication des institutions européennes et internationales. Dès 1987, le Conseil de l’Europe reconnaît officiellement les chemins comme premier Itinéraire Culturel Européen, une distinction qui ouvre la voie à une visibilité internationale inédite. Le mouvement s’amplifie avec le classement au patrimoine mondial de l’UNESCO, en 1993 pour les itinéraires espagnols puis en 1998 pour ceux de France. Cette reconnaissance permet au chemin de Saint-Jacques de Compostelle de redevenir un phénomène culturel et spirituel majeur.
Au cœur de cette réappropriation contemporaine, un petit carnet, le crédential, joue un rôle clé. Héritier des anciennes lettres de recommandation portées par les pèlerins médiévaux. Il se modernise dans les années 1980 et sert aujourd’hui de passeport qui permet d’obtenir des tampons à chaque étape. Il devient aussi indispensable pour bénéficier des hébergements dédiés. Comme l’explique Marc : “Pour pouvoir accéder aux gîtes, il faut être muni du crédential”. Surtout, il conditionne l’obtention de la Compostela, le certificat officiel remis à Santiago à ceux qui ont parcouru au moins 100 kilomètres à pied.
“Il est crucial de préserver l’esprit du chemin”
La gestion et l’animation du chemin reposent aujourd’hui sur un écosystème très diversifié. Les institutions religieuses, présentes tout au long des routes, conservent un rôle spirituel essentiel et gèrent encore des accueils qui perpétuent l’hospitalité traditionnelle. Les associations jacquaires, quant à elles, en plus des gîtes, forment les hospitaliers, organisent des conférences et des marches d’initiation. Comme le résume Marc qui préside l’ACSJO “On s’occupe surtout au niveau de la logistique, de l’information et de l’accueil.” Les collectivités territoriales, quant à elles, s’impliquent de plus en plus dans la mise en valeur patrimoniale et touristique. Autour de ce socle historique se développe un secteur privé dynamique, gîtes, restaurants ou encore entreprises de transport de sacs. Isabelle Bosc, hospitalière, rappelle toutefois : “Il est crucial de préserver l’esprit du chemin… et de ne pas en faire un simple produit touristique.” Cette diversité d’acteurs accompagne une transformation profonde de la pratique du chemin. Si le pèlerin “classique” : sac sur le dos et autonomie complète, demeure une figure centrale, le portage de sacs connaît une croissance fulgurante. Cette évolution suscite de vifs débats.
Le profil des pèlerins a également évolué. En 2005, les femmes représentaient près de 20 % de moins que les hommes. En 2024, elles étaient 7 % plus nombreuses que les hommes. Isabelle Bosc observe également une évolution dans les motivations : “Beaucoup cheminent pour le bien-être, la réflexion personnelle ou le développement intérieur, plus que pour des raisons religieuses. »

La signalétique témoigne de cette adaptation. Les repères médiévaux, croix anciennes, bornes sculptées, jalonnent encore les itinéraires. Cependant durant les années 1980, l’Espagne met en place une nouvelle signalisation, la coquille jaune sur fond bleu, devenue symbole européen du Camino. En France, le balisage s’est construit progressivement. La FFRandonnée commence dans les années 1970 en marquant la voie du Puy sous le nom de GR 65. D’autres comme la voie de Tours sont balisés au début des années 2000. Ainsi renaît, s’adapte un chemin millénaire. Entre recherche spirituelle, quête religieuse et innovations logistiques, Compostelle continue d’évoluer en perpétuant son héritage. Au-delà de la signalisation, c’est l’ensemble de l’infrastructure d’accueil et des gîtes, qui témoigne de l’adaptation du chemin aux besoins des pèlerins modernes.
Le repos du pèlerin
Sur la voie d’Arles, les gîtes pèlerins perpétuent une tradition d’accueil simple et solidaire, loin des logiques touristiques classiques. À Revel et Aigues-Vives, les hébergements gérés par l’Association des Amis des Chemins de Saint-Jacques en Occitanie offrent des conditions sobres, tenues par des hospitaliers bénévoles qui partagent le quotidien des marcheurs. Leur présence crée un climat chaleureux, “les hospitaliers dorment et mangent avec les pèlerins”, explique Marc Fonquernie, le président de l’association, qui insiste sur l’importance de cet accompagnement humain.

À Revel, un gîte accueille des randonneurs venus de France et d’ailleurs. La nuitée et le petit-déjeuner y sont proposés à un prix volontairement modeste de 17€, avec un repas du soir organisé en souper partagé, où chacun apporte quelque chose. À la différence d’Aigues-Vives, le repas du soir est préparé par les hospitaliers pour éviter aux marcheurs de devoir parcourir plusieurs kilomètres supplémentaires pour acheter de quoi manger. Le repas est donc en donativo, cela signifie qu’il n’a pas de prix fixe et que les pèlerins payent ce qu’ils pensent être un prix convenable. Dans les deux gîtes, l’accueil fonctionne avec souplesse, les réservations sont possibles, mais l’arrivée spontanée est acceptée car cela fait partie de l’esprit du chemin que l’association entretient. Les solutions sont garanties en cas de saturation grâce à un réseau de familles d’accueil. Environ cinq cents pèlerins passent chaque année par ces lieux, témoignant de leur rôle essentiel sur cet itinéraire. Cependant l’association des amis des chemins voudrait aller plus loin “Un projet qui nous tient à cœur depuis 20 ans et qu’on n’a pas réussi à mener, c’est de créer un gîte dédié aux pèlerins sur Toulouse.” Confie Marc Fonquernie. Toutefois, malgré de nombreuses réunions avec la mairie et le diocèse, aucun local n’a été trouvé pour mettre en place le projet.
Une passion au service de la transmission
Cette hospitalité associative trouve un écho particulier chez Isabelle Bosc, pèlerine de longue date qui tient le gîte La Passeur-elle. Isabelle a repris le gîte en 2017, fondé par une pèlerine belge. Elle explique que ce nom symbolise “l’accompagnement des pèlerins et la transmission de l’esprit du chemin”. Pèlerine depuis 1995, elle décrit le chemin comme “un lieu d’apprentissage, de rencontre et de réflexion personnelle”, et voit son gîte comme le prolongement naturel de cette expérience. Le fonctionnement des repas, quant à lui, reste le même que dans les gîtes de l’ACSJO. Dans son carnet où Isabelle conserve de nombreux témoignages de pèlerins, certaines histoires sont particulièrement fortes : un père qui, après un drame familial, dit avoir retrouvé confiance en marchant. Pour elle, ces récits rappellent la puissance intime du pèlerinage. Comme les hospitaliers associatifs, Isabelle insiste sur la nécessité de préserver la nature authentique de la voie d’Arles, simplicité, don, respect et convivialité. Elle rappelle que “l’esprit du chemin” dépend autant des hébergeurs que des marcheurs eux-mêmes, et que chaque pèlerin contribue, par sa manière d’être, à maintenir vivant ce patrimoine immatériel. Dans un contexte de fréquentation croissante sur l’ensemble des chemins européens, ces gîtes entretiennent l’esprit originel de Compostelle, fait de partage et de rencontre.

“Ce chemin m’a permis de vivre pleinement le moment présent, de rencontrer des personnes, de découvrir et de partager.”
Les pèlerins du chemin de Compostelle vivent pendant plusieurs jours sur les routes, marchant de refuge en refuge pour arriver à Compostelle. À travers leurs récits de voyages, chaque bénévole de l’association Jacquaire a confié un besoin de transmettre et raconter leurs randonnées : “On prend le chemin, mais en fait, c’est le chemin qui nous prend.” Parti randonneur, il en est revenu pèlerin, pour lui la foi là trouvée en parcourant la route reliant Toulouse à Compostelle. “Ce chemin m’a permis de vivre pleinement le moment présent, de rencontrer des personnes, de découvrir et de partager. On a été reçus par un maire d’un petit village, c’était un véritable plaisir. Puis un autre jour, c’est une dame, elle s’appelait Marie… et se mettait en quatre pour nous aider, elle méritait vraiment son nom.”
Certains ne trouvent pas le partage de l’expérience dans les associations, mais par l’écrit. Pierre Alglave est parti sur le chemin pour se donner un défi sportif. “Je suis parti avec un dictaphone, il devait me servir si j’avais des pensées sublimes, mais au fur et à mesure il est devenu mon compagnon de voyage.” En rentrant de Compostelle, Pierre commence à retranscrire ses notes orales et lance son blog. “Ces écrits se sont transformés en livre, je voulais montrer que cela est possible même si au départ on n’est pas un super sportif.” Aujourd’hui, Pierre a sorti plusieurs livres sur ses différentes randonnées et anime des conférences pour parler de son expérience sur le chemin. Si les blogs et livres de pèlerins racontent l’expérience individuelle, certains films suscitent également un engouement international pour le chemin.
Un film pour responsable de la venue des touristes anglais
Le Chemin de Saint-Jacques de Compostelle, très en vogue aujourd’hui, attire des Français comme des voyageurs du monde entier. Ce soudain engouement au cours des dernières décennies est dû à plusieurs facteurs. Selon Pierre Algarve, écrivain du livre Cheminements, le chemin connaît une augmentation de la fréquentation des anglo-saxons avec la sortie du film The Way d’Emilio Estevez en 2010. Celui-ci raconte l’histoire d’un médecin américain qui apprend la mort tragique de son fils, décédé alors qu’il avait entrepris le pèlerinage de Compostelle. Le père décide alors de poursuivre ce chemin et d’accomplir le pèlerinage que son fils n’a pas pu terminer.

En plus de traverser la France et l’Espagne, de nombreux chemins de Compostelle traversent d’autres pays d’Europe. La Via Francigena est un chemin en Italie très connu puisqu’il permet de partir de Rome pour rejoindre Compostelle. Pour Josette, bénévole à l’association : “le but des chemins de Compostelle c’est de partir de chez soi.” L’Allemagne et le Royaume-Uni possèdent également des chemins.
La Corée du Sud est le pays d’Asie le plus représenté parmi les pèlerins internationaux. Michel explique : “ils peuvent ajouter sur leur CV qu’ils ont fait le chemin de Compostelle, ça a de la valeur.” Les Coréens réalisent pour la plupart le chemin en hiver car cela correspond à leur période de vacances. Leur attrait pour ce chemin est religieux, puisque une partie de la population est chrétienne.
Au Québec, un chemin de Compostelle existe aussi. Construit afin d’aider et d’encourager autrui dans la rando-communautaire au Québec. Ce camino s’étend sur plus de 1800 km en partant de Montréal et s’achève au phare de Cap Gaspé et comme les chemins de Compostelle en France, celui du Québec recèle un riche patrimoine. Sylvette, bénévole à l’association, pense que : “Ce pèlerinage au Québec permet l’accessibilité du chemin pour les Canadiens. Cette année on a eu beaucoup de Canadiens qui sont passés à l’association.”
Entre recherche spirituelle, quête personnelle, pratique, tourisme culturel et innovations logistiques, Compostelle continue d’évoluer en perpétuant son héritage.


