Rechercher

Les métiers du monde de la nuit: ces acteurs qu’on oublie

Faire la fête jusqu’à 5 heures du matin, se laisser porter par la musique avec un verre à la main. Pour passer une bonne soirée, il faut les services d’une équipe complète. Videurs, barmans, serveurs ou encore DJ, ils sont tous confrontés à une insécurité quotidienne, mêlant alcool, le sexe et la drogue. Mais comment travaille-t-on réellement dans un environnement de fête et de débauche ?

Minuit. Les rues sont vides. Plongées dans le noir à l’exception des lampadaires et des néons des boîtes de nuit, la ville est éteinte. Le silence règne. En s’approchant de l’entrée des bars et boîtes, on n’entend plus que les fêtards patientant dans la file d’attente avant de passer l’obstacle du videur. « Carte d’identité s’il vous plaît… Allez-y ». Une phrase qui résonne dans la rue et dans la bouche des videurs tout au long de la soirée. Mais ce n’est pas si simple. Tout le monde ne peut pas rentrer en boîte et plusieurs critères rentrent en compte. Le dress code – selon le lieu -, le taux d’alcoolémie, la validité de la pièce d’identité, le genre du client ou encore le respect envers les videurs. Tout un processus qui permet le bon déroulé de la soirée une fois à l’intérieur.

« Les gens qui arrivent bourrés sont refusés à l’entrée, déclare un agent de sécurité de la boîte de nuit le Pampa, au centre de Toulouse. Les videurs gèrent bien l’entrée donc on a très peu de problèmes au sein de l’établissement. C’est un travail d’équipe, s’ils le font bien, notre travail à l’intérieur est plus simple ». Videur, un métier alors difficile. Tant dans les horaires de nuit, que dans la relation avec autrui. Cette profession induit un contact pratiquement quotidien avec des personnes alcoolisées ou encore euphoriques. Une euphorie pouvant mener à la violence. 

Un rythme intense

Musiques qui résonnent, lumières agressives, odeurs de transpiration, alcool à foison, tout le monde danse sur la piste. Hugo fait son cocktail préféré derrière le bar du Pampa. Une cliente arrive: « Bonjour, un vodka redbull s’il vous plaît ! ». Il y a la queue, il faut se dépêcher pour pouvoir servir tout le monde le plus rapidement possible. À seulement 19 ans, c’est un coup de main que le barman a pris depuis qu’il est en alternance au sein de la boîte de nuit. En bachelor de marketing, le jeune homme ne vit pas seulement la nuit. « L’année dernière j’avais cours le lundi et mardi, le reste de la semaine j’étais ici, explique-t-il. Cette année c’est un peu mieux j’ai cours que le mercredi et une semaine complète tous les mois et demi. C’est quand même compliqué parce qu’il faut avoir un rythme de jour la moitié de la semaine et tout de suite passer sur un rythme de nuit ». 

Une balance, que beaucoup ont dû adopter: « Mes jours de repos c’est compliqué, soit je dors toute la journée soit je me force pour avoir une bonne hygiène de vie, décrit Alejandro, responsable du bar Mahogany club. Alors je m’oblige à me lever tôt pour être fatigué le soir et pouvoir vivre deux jours normaux avec mon entourage ». Ce n’est pas la seule chose à mettre en place. À l’unanimité les serveurs, barmans et videurs sont d’accord pour dire qu’il faut se forcer à ne pas se réveiller trop tard, à bien manger et à maintenir une activité physique. « J’en connais qui rentrent chez eux après le service, dorment jusqu’à 15h, regardent une série dans leur canapé avant de retourner travailler, et ça tous les jours », compatis Alejandro. Le barman s’est alors fait un programme strict avec des repas, horaires et activités à respecter. « Ça coûte cher de travailler la nuit, culpabilise Hugo. On est plus amené à manger dehors. C’est facile, quand tu sors il est plus de 6 heures du matin, et t’as le tacos qui est ouvert juste à côté. À la fin du mois ça fait mal ».

« Ne travaillez jamais dans le monde de la nuit« 

Passer toutes ses soirées dans la musique et le bruit, accompagnés de personnes alcoolisées qui font la fête, ne provoquent pas seulement de la fatigue. En effet, de nombreux barmans et serveurs se plaignent de répercussions sur leur audition : « Y’en a qui mettent des bouchons d’oreille, comme Tony, le directeur, avoue Hugo. Moi, j’ai pas encore ce réflexe là. Après pour ce qui est des lumières, j’ai pas remarqué d’impact physique pour le moment ». Les employés de bars et boîtes de nuits s’exposent également aux dragues insistantes, blagues déplacées ou encore colères inexpliquées des clients, parfois trop alcoolisés. 

Alejandro raconte avoir souvent été témoins de collègues féminines qui se prenaient des mains aux fesses ou des remarques désobligeantes. « Trop souvent les hommes se permettent des réflexions ou de nous parler de façon ambiguë, j’ai alors décidé de mettre mes distances et d’arrêter d’être trop gentille pour pas qu’ils pensent que c’est de la drague », raconte Léonore, serveuse au Oulala, bar en centre-ville. « On attribue souvent les blagues sexuelles et crues aux hommes, confie Alejandro. Mais en tant que barman, j’ai quand même pu observer des femmes qui draguent, et c’est souvent très cru. On m’a déjà proposé un plan à trois sans me dire bonjour. Et il y a même une mère de famille qui m’a déjà proposé de la rejoindre dans sa chambre sans aucun contexte ».

Il continue: « En travaillant dans le milieu du monde de la nuit, tu ne vois plus personne. Ça a forcément un impact sur tes relations personnelles ». De nombreuses personnes dans le monde de la nuit finissent par perdre contact avec une partie de leur entourage. « Pour pouvoir voir les gens, c’est une histoire de concessions : soit je dors moins, soit ils acceptent de se coucher plus tard ou de se lever très tôt », continue le barman. Avec un salaire moyen de 1800€ pour les barmans et barmaids, Alejandro s’insurge : « Je trouve qu’on n’est pas assez payé pour ce qu’on fait. Entre la perte de sociabilité, la charge psychologique d’être face à des personnes alcoolisées tous les soirs, la fatigue excessive et le rythme de vie compliqué, rien n’est mis en place pour nous aider. Ne travaillez jamais dans le monde de la nuit, ça ne vaut pas le coup ».

Un rapport aux soirées nocturnes différent

À force de voir des personnes alcoolisées tous les soirs, les barmans et serveurs s’accordent pour dire qu’ils sortent beaucoup moins qu’avant mais surtout qu’ils ont en rapport différent à l’alcool. Un des seuls métiers où boire pendant le service est presque normal. « Ça m’arrivait souvent de prendre des shots avec des clients ou avec des collègues, mais je me suis calmée, confie Léonore. C’est un cercle vicieux, et on peut vite tomber dans l’alcoolisme à boire tous les soirs avec des clients différents. Maintenant quand je refuse un shot, mes patrons me félicitent ». Hugo rajoute que « personnellement, je bois de moins en moins avec les clients. Avec le temps j’ai réalisé que c’était pour beaucoup une façon de m’amadouer pour avoir des verres gratuits. C’est comme la drague, généralement c’est par intérêt ». Mais le travail dans le monde de la nuit amène à arrêter de boire même en dehors du temps de travail. « J’ai un rapport différent à l’alcool maintenant que je vois des gens en consommer tous les soirs, déclare le jeune barman de 19 ans Je me dis ‘ah mais on ressemble à ça quand on est bourré ?’ Alors je fais plus attention. Et le prix des verres en boîte joue aussi beaucoup. Je n’ai plus envie de dépenser 10€ par verres ». 

Alors barman au Café OZ à Jean Jaurès, Arthur Barutel regarde le DJ mixer il se dit : « C’est ça que je veux faire ! ». En 2019, il mixe alors pour la première fois au Bodega, au Stade Ernest Wallon. Un rythme de vie qu’il a su adopter mais surtout adapter. « Quand j’ai commencé, je faisais beaucoup la fête, voire un peu trop, se confie le DJ. J’ai déjà eu des excès, mais ça passe vite. Je me levais à 16h et j’enchaînais avec le travail ». Cette vie de débauche d’un jeune homme de 25 ans ne lui convient plus aujourd’hui. En travaillant 5 heures par jour, de 22h30 à 3h du matin, Arthur arrive à se lever le matin, faire du sport et à ne pas avoir de problèmes de santé ou d’hygiène de vie. « Je ne ressens pas de décalage, j’arrive à me lever aux alentours de 10h30/11h, quitte à faire une sieste après. J’ai un rythme de vie parce que je me lève et je fais du sport (golfe). J’aime encore sortir, mais quand je sors c’est plus un after work. Je vais voir mes amis mixer, on reste avec mes collègues et on boit une bière, je ne vais pas me bourrer la gueule ».

Pour le DJ, ce n’est pas le rythme qui est compliqué, mais la posture à avoir. Mettre l’ambiance tous les soirs et être ‘maître de la soirée’ n’est pas une mince affaire. « Il faut toujours être en forme et prêt à se donner à 100%, avoue Arthur. Quand t’apprends que t’as perdu quelqu’un et qu’une heure après tu dois aller mixer, t’y vas et tu donnes tout. Les gens attendent d’un DJ qu’il mette l’ambiance et qu’il soit de bonne humeur. Ça m’est déjà arrivé de mixer en pleurant ». Tous ces sacrifices pour pouvoir se faire des contacts et vivre de sa passion : « Ça fait 5 ans que je fais ça, mais seulement 2 ans que j’en vis correctement ». 

Toulouse, une ville de fêtards

La ville rose ne manque pas d’endroits où sortir, boire et faire la fête. La métropole est au centre de l’Occitanie, élue région qui boit le plus en 2021, selon Santé Publique France, avec 12% des adultes qui affirment consommer de l’alcool quotidiennement. À Toulouse, sur 100 personnes sondées, entre 17 et 53 ans, 43% déclarent boire de manière hebdomadaire. Avec des bars toujours remplis, les barmans, DJs, videurs et serveurs sont des métiers essentiels dans la ville rose.

DAVID Jade, DARTIGUELONGUE Manon