Leucate, village du littoral audois, attire chaque année des milliers de touristes, séduits par ses plages et son ambiance festive. Mais derrière ce décor idyllique, une crise silencieuse se profile. Une sécheresse persistante et un manque d’eau menacent la viticulture locale. Entre forages risqués, réutilisation des eaux usées et technologies, leur avenir est suspendu à des choix coûteux et incertains. Dans ce reportage, nous nous sommes plongés au cœur du quotidien de ces agriculteurs déterminés.

© E.C Une des parcelles de vignes appartenant à Vincent.
« Je voulais vous faire voir de vos propres yeux ce que la sécheresse inflige à mon exploitation » confie Vincent Germain, viticulteur local. Derrière l’ambiance festive et le décor de carte postale de Leucate, se cache une sécheresse de plus en plus sévère. Le village se divise en trois zones : Leucate Village, avec ses marchés et ses ruelles de pierres ; Leucate Plage, station balnéaire prisée des Toulousains ; et enfin Port Leucate, réputé pour ses pêcheurs. À première vue, cet endroit semble être un havre de paix. Mais en prenant de la hauteur, sur le plateau de Leucate, on découvre un autre visage du village. Il est dix heures, en montant à bord de la Kangoo de Vincent Germain, nous traversons des rangées de vignes et d’oliviers à perte de vue. Autour de nous, le silence n’est perturbé que par le chant des oiseaux et le bruissement des feuilles de vignes dans le vent. Pourtant, ce calme cache une réalité bien plus inquiétante.
« On est sur des cumuls plus proches du sud saharien »
Le climat de Leucate, qui était autrefois propice à la culture de la vigne, est devenu un facteur d’incertitude. « On a perdu la moitié des récoltes cette année » déplore un viticulteur. Idéalement, il faudrait recevoir 300 millimètres d’eau pour assurer une bonne production. Le secret d’une récolte réussie réside dans les petites pluies fines de l’hiver. En effet, une racine de vigne peut atteindre jusqu’à 5 mètres de profondeur, et lorsque le sol est bien nourri, la vigne peut puiser cette réserve lors des périodes de chaleur. Mais les années 2022 et 2023, ont marqué un véritable électrochoc pour la région. « Elles étaient particulièrement compliquées, notamment dans les Pyrénées-Orientales » explique Frédéric Bergé, ingénieur en qualité des eaux. En un an, il n’a plu que 200 millimètres, pour comparaison, un désert reçoit entre 160 et 180 millimètres. « La situation est devenue catastrophique » confirme Frédéric Bergé. « On est sur des cumuls plus proches du sud saharien que de l’Europe méditerranéenne. »
Carte interactive, « Restrictions de l’usage de l’eau liées à la sécheresse » :
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Solutions en temps de crise : forages et eaux usées traitées
Face au changement climatique, l’adaptation est devenue l’unique option. Le manque d’eau a poussé les viticulteurs à envisager des solutions coûteuses et risquées. Tel que le forage pour extraire l’eau jusqu’à 100 mètres de profondeur. Mais cette solution n’est pas sans danger. « Si l’on pompe trop profondément, on risque d’infiltrer de l’eau salée de la Mer Méditerranée, et dans ce cas, tout est perdu » explique Vincent Germain.
D’autres exploitants se tournent vers la réutilisation des eaux usées traitées. Une option lancée à Roquefort-des-Corbières par BRL Exploitation, entre 2016 et 2019. Le système récupère l’eau des stations d’épuration, la filtre et la traite via un rayonnement ultraviolet L’objectif ? Éliminer les agents pathogènes. Cette solution, bien que séduisante, reste coûteuse. « L’eau traitée coûte entre 25 centimes et 2 euros le mètre cube » explique Frédéric Bergé. Le coût de l’eau dépend de son traitement et de son origine : l’eau brute est relativement bon marché, coûtant environ 25 à 30 centimes par mètre cube. En revanche, l’eau usée traitée peut atteindre jusqu’à 1 ou 2 euros par mètre cube, selon le niveau de purification nécessaire. Malheureusement dans un secteur où chaque goutte d’eau compte, ces solutions ne sont pas à la portée de tous.


© I.E Vincent Germain qui nous montre d’où provient l’irrigation.
D’autres défis entrent en jeu
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les viticulteurs optimisent leurs apports en eau. « Il existe un mythe selon lequel les agriculteurs utilisent trop d’eau, mais ce n’est pas le cas, car financièrement, cela serait insoutenable » explique Frédéric. Vincent ajoute “certains irriguent manuellement leurs jeunes plants, pied par pied”. Les viticulteurs n’ont pas d’autre choix que de rationaliser l’usage de l’eau au maximum. Si ces problèmes persistent et que les récoltes continuent à diminuer, la Cave Coopérative de Leucate pourrait être contrainte d’augmenter ses prix ou de réduire ses coûts de production. Parallèlement, si les distributeurs ne reçoivent pas la quantité attendue au prix de base, ils se tourneront vers d’autres fournisseurs.

En plus de la gestion de l’eau et la viabilité économique, les vignerons doivent faire face à d’autres défis : des nouvelles espèces qui menacent leurs cépages. Parmi les nuisibles les plus problématiques, on retrouve les papillons ravageurs. Pour lutter contre eux, les agriculteurs ont recours à la méthode de la confusion sexuelle : un traitement biologique qui consiste à saturer l’air de phéromones pour limiter la reproduction des insectes. Cette technique reste inefficace face au papillon Crypto. Une espèce particulièrement résistante qui s’est développée dans le sud de la France au cours des cinq à six dernières années.

© I.E, Un sarment fin, fragilisé à cause du manque d’eau.
Pour en savoir plus sur cette technique podcast :
« Les vignes, c’est toute ma vie. Mais si je dois planter autre chose, je le ferai »
Le changement climatique bouleverse les cycles de production traditionnels. Autrefois, les vendanges commençaient en septembre, aujourd’hui, elles débutent dès le 16 août. « Moins il pleut, plus on récolte tôt » note un exploitant. Pour s’adapter, La Cave Coopérative a installé un système permettant de déterminer le moment idéal pour la récolte. Elle a également mis en place des capteurs pour mesurer les besoins en eau des vignes et optimiser l’arrosage. « On arrose moins, mais de façon plus précise », explique Baptiste Guyochet. Ces technologies permettent de mieux gérer l’eau, mais elles restent coûteuses.
Ainsi la question de l’avenir des viticulteurs à Leucate reste en suspens. « Les vignes, c’est toute ma vie, mais si je dois planter autre chose, à côté, je le ferai” déclare Vincent Germain. Face à cette situation, certains viticulteurs envisagent de cultiver des espèces moins gourmandes en eau, comme le pistachier, l’aloé vera ou l’amandier. Mais cette solution comporte de nombreux défis. « Le climat et le sol de la région ne sont pas forcément propices à l’implantation de nouvelles cultures, et le retour sur investissement est loin d’être garanti » prévient un ingénieur de la qualité des eaux. En effet, cela consiste à trouver de nouveaux distributeurs et rentrer dans un marché déjà saturé. Malgré tout ça le problème reste le même : chaque culture a besoin d’eau.
Les viticulteurs n’ont plus le choix : ils doivent s’adapter, innover. Mais face à l’ampleur de la crise, le temps presse. « Les vignes, c’est toute ma vie », répète Vincent. Pour les exploitants locaux, la solution réside dans un équilibre entre gestion de l’eau, innovations et soutien politique. Sans ces conditions réunies, l’avenir de la viticulture à Leucate pourrait être aussi incertain que la pluie.
La sécheresse impacte la production d’autres cultures à Leucate, les oliviers : (video)
Eleane Clou et Ilona Esposito