Un Parfait Inconnu réalisé par James Mangold, est une adaptation du livre d’Elijah Wald, Dylan électrique : Newport 1965. Le long-métrage retrace l’ascension de la star du folk engagée dans l’Amérique traversée par la guerre froide. Le film est déstructuré, non linéaire, ce qui permet de mettre en lumière les moments clés qui ont forgé l’artiste. A travers ses relations, sa musique et ses influences, James Mangold propose une vision nuancée de Bob Dylan et particulièrement de son passage de la scène folk traditionnelle à une version revisitée plus rock. Une transition difficile qui marque l’un des tournants les plus significatifs de sa carrière. Revenons sur ce biopic, sorti le 29 janvier dernier, dans les salles obscures toulousaines.
Thimothée Chalamet s’immerge dans le rôle de Bob Dylan

Thimothée Chalamet interprète un Bob Dylan de 20 ans, à la fois brillant et fuyant, toujours en quête de sens, mais incapable de partager ses véritables sentiments autrement que par ses chansons. Dans une scène clé du film, Bob Dylan est montré en train de composer dans sa chambre, seul avec sa guitare, ce qui symbolise non seulement son isolement, mais aussi son refus de s’ouvrir autrement que par la musique. Thimothée Chalamet capte bien ce caractère insaisissable de Bob Dylan, ce besoin d’être à la fois proche et lointain de ceux qui l’entourent. Pendant le long-métrage, on ne l’entend parler que très peu. Les échanges sont très brefs et secs. Une attitude qui le rend désagréable et froid. Il ne cherche jamais à entrer en contact personnellement, préférant que ses paroles et ses mélodies parlent pour lui. Mais cette distance, il ne l’entretient pas avec tous les personnages.
L’influence de Woody Guthrie
Une figure centrale dans la vie de Bob Dylan, Woody Guthrie est également présent dans Un parfait inconnu. Un Dylan jeune et impressionnable trouve en Guthrie une sorte de mentor, une référence musicale et d’engagement. Dans le film, on voit souvent Dylan qui incarne l’artiste engagé, celui qui utilise la musique pour dénoncer les injustices sociales et parler aux opprimés. Une scène poignante montre Bob Dylan, jeune, se rendant à l’hôpital où Guthrie est soigné pour une maladie dégénérative. Ce moment, bien que bref, capte l’admiration de Dylan pour l’artiste qui l’a profondément influencé dans ses débuts en tant que musicien engagé.
Son lien avec Woody Guthrie est l’une des relations les plus touchantes du film. Woody, incapable de parler à cause de sa maladie, ne communique avec Bob qu’à travers leur passion, la musique, mais aussi avec des regards, des échanges presque comme un amour paternel, un père spirituel. Woody est presque le seul personnage avec qui Bob Dylan est tendre et expressif.
Bob Dylan et ses relations
Les relations personnelles de Bob Dylan sont également essentielles pour comprendre l’artiste. Sa liaison avec Joan Baez, dont l’influence sur la scène folk et le militantisme étaient aussi significatifs que les siennes, est dépeinte avec subtilité. Si au début, leur relation semble être une forme de complicité artistique, elle se fragilise à mesure que Bob Dylan prend ses distances.

Joan Baez incarne une forme de fidélité au folk traditionnel et à l’engagement social, mais Bob Dylan, de plus en plus enclin à se réinventer, choisit une autre voie. Une scène marquante montre Joan Baez tentant de le comprendre, mais Bob Dylan se contente de répondre par ses chansons, comme s’il ne savait pas comment exprimer autrement ses émotions. Un lien conflictuel mais profondément intense, notamment lorsqu’ils se mettent à chanter It ain’t me babe lors d’un festival. Yeux dans les yeux, ils sont connectés, « dans un autre monde » comme le dit Bob Dylan dans le long-métrage.

Sylvie est un autre personnage féminin dans le film, qui représente une forme de relation plus éphémère et déconnectée. Là encore, Bob Dylan peine à s’ouvrir, préférant se réfugier dans son art plutôt que dans des liens personnels authentiques. Malgré un attachement évident, Bob Dylan ne parvient pas à satisfaire la proximité tant désirée de Sylvie. Le film met en lumière cette difficulté de Dylan à se livrer en dehors de sa musique et ce qui ressort de ces relations, c’est l’idée que sa musique est le seul canal par lequel il peut vraiment communiquer sa vérité.
Edward Norton : le mentor
Edward Norton (Fight Club, l’Illusionniste…) incarne Pete Seeger, pionnier de la musique folk. Il apporte un autre angle à l’histoire. Ce mentor est là pour encourager Dylan dans sa réflexion sur le rôle de l’artiste et son engagement, mais leur relation est marquée par un fossé intellectuel croissant.
Une scène clé montre ce mentor donnant à Dylan des conseils sur la manière d’utiliser sa plateforme pour faire entendre sa voix, mais le jeune artiste rejette cette idée de manière presque violente, préférant naviguer seul, fidèle à l’indépendance que Woody Guthrie lui a apprise.

Autre moment qui marque cette prise de distance entre les deux personnages : lorsque Bob Dylan change de direction artistique. Pete Seeger, pionnier de la musique folk, est comme ses semblables, réticent au changement. Ce tournant majeur dans la carrière de Bob Dylan est surtout dans l’histoire du rock, un moment de séparation entre les deux musiciens, alors maintenant en désaccord. Cette tension entre l’individu et la collectivité, l’artiste et le mouvement, est bien rendue dans le film.
1965 : La révolution musicale et le rejet du folk traditionnel
La fin du film, centrée sur 1965, est l’un des moments les plus significatifs du film. Bob Dylan, après plusieurs années de succès en tant que porte-parole du mouvement folk pur, décide de se réinventer en électrifiant sa musique et en embrassant une version plus rock and roll.

Lors de sa fameuse performance au Newport Folk Festival, où il monte sur scène avec une guitare électrique, Bob Dylan provoque une onde de choc : une partie du public le hue, l’insulte de « Juda« , incapable d’accepter ce changement radical.
James Mangold capte bien la tension de ce moment, où l’artiste, après des années d’adulation, décide enfin de se libérer des attentes placées sur lui et suivre son propre chemin. Cette scène de rébellion symbolise la rupture avec son passé, un retour aux racines de Woody Guthrie, mais aussi la naissance d’une nouvelle forme de musique, plus audacieuse et moins idéologique. Ce passage à une musique plus rock est un acte d’affirmation de sa propre identité artistique. Il s’éloigne ainsi de l’héritage de Woody Guthrie, tout en continuant à être un artiste engagé, mais à sa manière.
Une distance émotionnelle et quelques lenteurs
Si Un parfait inconnu réussit à capturer l’évolution de Dylan de manière originale, il n’est pas exempt de quelques défauts. La structure éclatée du film, qui saute d’une période à l’autre sans transitions évidentes, peut parfois créer une distance émotionnelle avec les personnages. Le spectateur peut avoir du mal à s’attacher pleinement aux protagonistes, notamment à Dylan, qui reste souvent dans l’ombre, réfractaire à la proximité humaine. Il est parfois difficile de ressentir une véritable connexion avec lui ou avec les autres personnages, qui semblent eux aussi enfermés dans leurs propres luttes intérieures.

De plus, certains moments du film peuvent paraître un peu longs ou trop introspectifs, avec des scènes qui s’étirent sans véritablement faire avancer l’intrigue ou la compréhension du personnage. Ce côté contemplatif, bien qu’essentiel pour comprendre l’esprit tourmenté de Bob Dylan, peut laisser le public se sentir un peu détaché.
Chers spectateurs, préparez-vous aussi à être témoin d’un enchainement constant de musiques folk. Les moments de silence avec de longs dialogues se font très rares.

Un parfait inconnu est un bon biopic avec une incroyable performance de Thimothée Chalamet, alors nominé aux oscars pour la catégorie du meilleur acteur. L’influence de Woody Guthrie est omniprésente, comme une boussole qui oriente d’abord Dylan vers un engagement social, avant de le pousser à en créer un tout autre, plus personnel et libéré. La fin du film, marquée par la rupture avec la scène folk et l’électrification de sa musique, est le point culminant de cette quête d’individualité. C’est un portrait d’un homme qui, malgré ses relations personnelles complexes et son besoin de réinventer constamment sa musique, reste profondément seul, et qui n’a pour seul moyen la musique, pour communiquer sa vérité. Thimothée Chalamet parvient à offrir une performance juste et subtile, réussissant à incarner un Dylan à la fois fragile et lumineux, tout en montrant toute la profondeur de son processus créatif. Après cette prestation, serait-il en bon chemin pour obtenir l’oscar ?