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Quand la fripe devient chic : la gentrification des friperies au détriment des pauvres

Avec les années, la fripe est devenue de plus en plus à la mode et de moins en moins accessible. Photo: Christine Doan
Avec les années, la fripe est devenue de plus en plus à la mode et de moins en moins accessible. Photo: Christine Doan

Longtemps réservées à ceux qui voulaient s’habiller pour presque rien, les friperies se sont démocratisées au point de devenir incontournables, ayant même leur propre journée mondiale. Ces boutiques, autrefois marginales, attirent désormais une clientèle de tous horizons, dont les fameux bourgeois-bohèmes en quête de pièces rares et authentiques. Mais à quel prix ?

Depuis le XIXe siècle, la fripe incarne une opposition aux uniformes bourgeois. Elle est une manière de se réinventer, d’afficher sa différence, de revendiquer une identité singulière. Cependant, ce symbole de résistance vestimentaire s’est transformé.

Comme l’explique un designer interrogé par WWD, « la mode s’épuise dans le luxe » et « tente de se renouveler à tout prix pour ne pas se retrouver elle-même dépassée ». Pour ce faire, elle « pille sans scrupule les subcultures depuis des décennies ». Une évolution qui s’observe également dans les friperies, où la demande explose et les prix suivent la tendance.

Les amateurs de vintage sont prêts à dépenser des fortunes pour une pièce des années 80 ou un survêtement « Juicy Couture » des années 2000. Résultat ? « Ce qui était accessible aux classes modestes devient alors un luxe. »

Quand l’embourgeoisement des friperies pénalise les plus précaires

Les friperies ont longtemps été une solution pour les personnes en difficulté, permettant de s’habiller décemment sans se ruiner. Aujourd’hui, la demande massive des classes aisées a des conséquences directes : augmentation des prix, raréfaction des pièces accessibles, et marchandisation de ce qui était autrefois un acte de nécessité. “La gentrification ne connaît pas de bouton d’arrêt. Une fois lancée, elle s’auto-alimente”, explique la sociologue Anne Clerval.

L’upcycling – ou l’art de donner une seconde vie aux vêtements – est aujourd’hui au cœur des discussions, notamment face à l’énorme accumulation de déchets textiles. Mais la fripe, initialement conçue pour répondre à des besoins pratiques et économiques, devient un simple divertissement pour certains. L’épargne vestimentaire se transforme en une quête de frissons et d’originalité, au détriment des plus démunis.

Une tendance qui divise

Malgré ces dérives, certains clients voient aussi du positif dans cette évolution.
Par exemple, Alex ne s’habille presque plus qu’en vêtements d’occasion. « C’est sûr que ça pousse les prix vers le haut, mais au moins, ça valorise la seconde main. Les gens achètent moins de fast-fashion et ça, je trouve que c’est une bonne chose. »

De son côté, Camille, une autre cliente, tempère : « C’est bien que ça devienne à la mode, mais ça reste paradoxal. Ceux qui avaient vraiment besoin des fripes ne peuvent plus toujours suivre. Finalement, c’est encore une appropriation d’un truc populaire par une classe plus aisée. »

Un constat finalement mitigé

Cette « humanisation » du marché de l’occasion ne peut occulter ses paradoxes : les friperies regorgent de vêtements grâce à une consommation toujours plus effrénée, mais ces mêmes vêtements deviennent parfois inaccessibles pour ceux qui en ont vraiment besoin…

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