Dans les rues de Toulouse, ils représentent le visage d’une jeunesse déterminée qui refuse la résignation. Étudiants le jour, militants le soir et parfois la nuit, ces jeunes incarnent une génération qui a choisi d’agir plutôt que de subir. De la gauche radicale à la droite conservatrice, ils consacrent leur temps libre à défendre leurs idées. Ils tentent d’équilibrer cours, projets professionnels et vie personnelle, tout en dédiant une part essentielle de leur énergie à leur passion commune : la politique. Mais qui sont ces jeunes militants, et qu’est ce qui les pousse à s’engager, souvent envers et contre tous ?
Il est 19 h à Toulouse, et tandis que la plupart des étudiants rentrent chez eux après leur journée de cours, Thomas Da Cruz enfile son blouson. Direction le local de La France insoumise (LFI), où l’attendent d’autres militants pour une session de collage nocturne. À la même heure à Bordeaux, Léanne Renier, toulousaine d’origine, termine une réunion de bureau de campagne de Place publique, son carnet de notes rempli d’idées pour les prochaines actions militantes. Ces jeunes, comme des milliers d’autres à travers la France, ont choisi de consacrer leur temps libre à l’engagement politique, et jonglent entre études et militantisme avec une énergie qui force l’admiration.
« Je ne voulais pas m’engager », explique Léanne, étudiante 20 ans en science politique à Bordeaux. Dans son bachelor en relations internationales, elle a trouvé bien plus qu’une formation : un éveil politique qui l’a conduite à rejoindre le mouvement de Raphaël Glucksmann. « Je me suis découverte de gauche en m’intéressant à la politique, au lycée je me considérais de droite, je pense sous l’influence de ma mère », confie-t-elle.

À quelques centaines de kilomètres de là, dans les couloirs de la fac Jean-Jaurès à Toulouse, Thomas, 25 ans, poursuit son master d’histoire et d’économie sociale avec une énergie débordante. Pour ce militant insoumis originaire d’un petit village de Haute-Garonne, l’engagement est né d’une frustration : « Je voyais peu de changement dans le paysage politique et je me disais que c’était peut-être parce qu’il n’y avait pas assez de citoyens qui s’engageaient ». Il se souvient encore de ce jour de 2021 où il a franchi le pas de s’encarter : « C’était pendant les présidentielles, je regrettais de ne pas m’être lancé plus tôt ». En 2024, 20% des 18-24 ans ont adhéré à un parti politique ou à un syndicat, selon le Baromètre DJEPVA sur la jeunesse de l’INJEP-CRÉDOC, contre 19 % chez les 25-30 ans.
Concilier la vie étudiante et militante
Le quotidien de ces jeunes engagés relève souvent du grand écart. Entre les cours et les actions militantes, chaque minute compte. « Parfois c’est le rush », admet Léanne, « mais je m’organise ». Les groupes WhatsAppp bourdonnent de messages, ils coordonnent les actions militantes et maintiennent le lien entre adhérents. Thomas, lui, a trouvé une solution originale : « Les mardi, j’essaye de tracter le midi avec mes amis militants, tout en partagent un casse-croûte. Ce sont des moments de partage que j’aime ».

Pour Maxime Vayssade, 24 ans, l’équation est encore plus complexe. Professeur d’histoire géographie stagiaire à Muret et militant chez Génération.s (un mouvement social et écologique, NDLR), il doit composer avec les exigences de sa fonction publique. « Je ne le dis pas à mes collègues », explique-t-til, « quand on est prof on n’a pas à donner son avis, on ne fait pas de discours politique ». Une discrétion qui n’entame en rien ses convictions, nourries par son expérience associative : « J’ai baigné dans le milieu associatif avec l’association de mon village et je voulais porter mes valeurs plus loin, alors j’ai rejoint génération.s ».
Un engagement ancré en eux
Le militantisme politique prend des formes multiples, bien loin des clichés. Si le tractage et le collage d’affiches restent des piliers de l’action militante, ils sont devenus des moments de partage et de construction collective. « Je préfère faire du collage », confie Thomas avec enthousiasme. « On va au local prendre des affiches, on prend le métro entre militants, on peut parler un peu plus. C’est moins formel que dans une réunion plus sérieuse. » Ces moments informels sont souvent les plus précieux, créant des liens qui dépassent les simples relations militantes.
Pour Léanne, membre du bureau de campagne de Place publique à Bordeaux, l’engagement va au-delà des actions de terrain. « On a organisé une rencontre publique avec Raphaël Glucksmann et Aurore Lalucq (députée européenne et membre du mouvement Place publique, NDLR)», raconte-t-elle avec fierté. Même en période non électorale, l’engagement continue : « On fait des réunions où l’on cherche à travailler et à reconstruire ensemble des idées de gauche. » En 2024, 45% des 18-24 ans ont signé une pétition ou défendu une cause sur internet, selon le Baromètre DJEPVA sur la jeunesse de l’INJEP-CRÉDOC.
Les motivations qui animent ces jeunes militants sont profondément ancrées dans leur histoire personnelle et leurs convictions. Pour Thomas, l’engagement s’inscrit dans une lignée familiale : « Mon grand-père était résistant, mes grands-parents ont caché des juifs, ce sont des causes qui résonnent en moi. Je veux continuer ce combat. » Léanne, elle, puise sa motivation dans l’urgence du présent : « En étant confrontée à des extrémistes de droite, à des gens contre l’Europe, j’ai perçu l’urgence de réagir. »
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« Je suis catégorisé comme le pro de la politique »
Alexandre, 20 ans, est militaire. Cet ancien militant Les Républicains (LR) puis de l’UNI Toulouse, un syndicat universitaire de droite, a dû mettre en pause son engagement en raison de son incorporation dans l’armée. Sa vision du militantisme jeune est sans concession : « Je pense que la jeunesse est faite pour une certaine forme d’extrémisme, elle ne peut pas se conformer dans la tiédeur et la lâcheté d’une droite molle. » Le jeune homme s’est depuis rapproché des valeurs de Reconquête!, le parti créé par Éric Zemmour, et surtout de Marion Maréchal sans pour autant s’encarter : « Je suis triste de voir la vision de la France autant bafouée, je veux qu’on la respecte et qu’on perpétue nos traditions. »

L’impact du militantisme sur leur vie personnelle est considérable, mais pas toujours là où on l’attend. « J’ai fait beaucoup de rencontres mais je ne pense pas m’être fait des amis », confie Thomas avec une pointe de regret. Pour Maxime, l’engagement a été source d’enrichissement intellectuel : « Ça m’a apporté une réflexion sur la société, je lis et m’instruis beaucoup plus. » Ces jeunes découvrent que l’engagement politique est aussi une école de la vie, où l’on apprend autant sur soi que sur les autres.
La relation avec l’entourage non militant peut parfois être délicate. « Dans mon école, voter LFI ça passe moins que voter RN », observe Léanne, qui choisit ses moments pour révéler son étiquette. Maxime, lui, est devenu malgré lui le référent politique de son groupe d’amis : « Je suis catégorisé comme le pro de la politique, celui qu’on va voir dès qu’on a une question. »
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Un futur qui résonne avec leurs convictions
Les perspectives d’avenir de ces jeunes sont aussi diverses que leurs parcours. Léanne rêve de devenir députée européenne, tandis que Thomas envisage de travailler dans le service des associations universitaires. Le militantisme jeune n’est pas une simple phase transitoire, il peut constituer le socle d’un engagement durable : « Je me vois mal arrêter, c’est ce qui me pousse chaque matin à me lever, je veux contribuer à vaincre mes combats. » confie Maxime.« Au lieu de me plaindre j’ai décidé de m’investir à mon échelle », confesse Léanne, incarnant une génération qui refuse la passivité. « Dans 10 ans, si le travail que je fais a une dimension militante, il y a des raisons pour que je m’engage moins », réfléchit Thomas, « mais est-ce que j’aurai encore le temps de militer ? » Leurs doutes, leurs espoirs et leur détermination dessinent les contours d’une génération qui, loin des clichés sur une jeunesse désengagée, a choisi de prendre sa place dans le débat public.