Immersion dans une maraude : Une odyssée nocturne dans les rues de Toulouse

300 000 sans abris en France.
Dans le tumulte urbain d'une ville endormie, une lueur d’espoir orange brille au cœur de la nuit. C'est l'heure de la maraude, une mission humanitaire où des bénévoles se rassemblent pour apporter réconfort, soutien et aide aux personnes les plus vulnérables.

La journée touche à sa fin lorsque l’équipe de bénévoles se réunit dans leur local. Autour d’une table jonchée de cartons de nourriture, de couvertures et de kits d’hygiène, l’excitation et la détermination se lisent sur les visages. Les tâches sont rapidement réparties : certains préparent les thermos de boissons chaudes, d’autres vérifient les stocks de gâteaux, nouilles, duvets, couvertures qui vont être distribués.

Pendant ce temps, Patrick, 62 ans, fan de bodyboard et surtout maraudeur et conducteur du jour, vérifie les feux et la fonctionnalité du véhicule. « C’est une étape importante, il faut que tout soit fonctionnel, il faut s’assurer d’être vu par les bénéficiaires et de ne pas avoir de pépin sur la route »

Un dernier briefing est fait pour répéter les règles à respecter en cas de comportements étranges ou de situations dangereuses. Et puis, Patrick, Lola et Hélène sont prêts à partir.

Sur le terrain

Une fois équipée de leurs manteaux orange fluos, l’équipe se met en route. 

Déjà 2 appels du 115. « Un duvet et une aide alimentaire pour un monsieur au parc de Jolimont ». Ni une ni deux, les maraudeurs se rendent au parc. C’est Lola qui prend les appels, c’est la responsable des actions sociales à la Protection Civile de la Haute-Garonne. Sur place, il n’y a personne. Elle a le numero et le nom du bénéficiaire, le rappelle et il ne décroche pas. Ils font un détour mais décide de ne pas rester. « Ça n’arrive pas trop souvent, on nous attend d’habitude » m’explique Lola. 

Les rues sont calmes, baignées dans la lumière jaunâtre des réverbères et presque désertes. Sous les ponts, dans des ruelles sombres, sur des places, dans des parcs, mais surtout dans les recoins oubliés de la ville, des silhouettes se dessinent. Ils sont des hommes, femmes, enfants, ils ont de 5 à 70 ans, et ils sont les témoins de destins fragilisés par la précarité. 

Au début de la maraude, vers les allées Jean Jaurès, 3 hommes, d’âges différents, dans des tentes se laissent tenter par un chocolat chaud.

Ils font des blagues et Lola prend des nouvelles de la jeune étudiante qui habituellement est sur cette même place. « C’est important de tisser des liens. La plupart du temps ils viennent pour de l’aide alimentaire, mais aussi et surtout pour du lien social , faire une blague, discuter, obtenir un sourire »  confie la responsable. 

Une mamie et pepito 

« Regardez sur le banc, il y a quelqu’un ». C’est une femme, d’un certain âge. Elle est assise sur un banc avec un petit chien enroulé dans une couverture. Son regard trahit la fatigue et la résignation, mais un sourire timide illumine son visage lorsqu’elle voit le groupe approcher et elle fait signe. Elle échange quelques mots, parle de son chien « Pépito », raconte qu’elle vit dans un garage d’un monsieur qui la laisse crécher, elle et une amie, durant l’hiver. Elle demande des chaussettes, la Protection Civile n’en a pas, elle prend un paquet de nouilles, des gâteaux et dans son regard fatigué se devine sa gratitude.

« Elle a l’air perdue »

6ème appel du 115 : « Une jeune femme, elle a l’air perdue ». Ils se dirigent, plus loin, vers la bouche de métro St-Cyprien, une jeune femme a fait appel et se tient le dos rond, une valise à la main et un sac à dos. Elle arrive vers Patrick, Hélène et Lola avec un mélange de méfiance et de curiosité. Elle est Yéménite et vient de l’Arabie du Sud. Elle a 21 ans et n’a plus d’argent pour se payer un logement. Elle est arrivée récemment en France et a une demande d’asile dans les mains. Elle a besoin de serviettes hygiéniques, d’un duvet et surtout de conseils. Elle passera la nuit dehors, dans la bouche de métro de St-Cyprien et plus tard dans un coin à coté de la Place du Capitole. Lola l’a conseillé, a rappelé le 115 et elle devrait bénéficier d’un logement sous peu. 

Aucun répit

Au fil de la maraude, les rencontres, les histoires se succèdent, toutes aussi poignantes les unes que les autres. Des hommes, des femmes, des jeunes, tous confrontés à la rudesse de la vie dans la rue. Certains évoquent des parcours chaotiques, d’autres des rêves brisés. Pourtant, malgré les épreuves, une force de résilience émane de chacun, une volonté de survivre dans un monde qui les a oubliés. « Je n’ai pas froid, je viens de Normandie. Je vis au même endroit depuis 8 mois, c’est un petit hall, pas très loin de la gare. J’ai trouvé mon spot à moi. La gare je ne la fréquente plus, il y a trop de voleurs. Je préfère être tranquille, tout seul » déclare un homme en riant. 

Beaucoup plus de gens à la rue 

Pendant la maraude, certains sont à la rue, mais certains sont dans leur voiture ou vivent dans des logements sociaux. Aujourd’hui il y a environ 300 000 sans abris en France. « En maraude, on fait le double de l’année dernière. On faisait 12-25 personnes maximum. Cette année on ne fait jamais en dessous de 30 et on peut monter jusqu’à 50 personnes par soir. Et on est pas les seuls » explique Lola. 

Et pourtant, cette nuit du 19 février, le Protection Civile était seule sur le terrain. Les appels n’ont pas cessé. Témoin d’une demande importante. « Je n’ai jamais passé autant de temps au téléphone pendant une maraude. C’est impressionnant » s’amuse Lola.

Une dure mission

À sa première maraude, Patrick a éclaté en sanglots en rentrant. Dans le camion, il raconte sa première fois avec beaucoup d’intensité. Lola l’écoute et lui rappelle que c’est important d’en parler et qu’elle est aussi là pour ça. « Des fois on pose le cerveau, et des fois on n’y arrive pas, c’est humain. On voit des choses impressionnantes, ça ne laisse pas indemne » confie-t-elle. 

Des profils différents

Ils sont jeunes, plus âgés, hommes, femmes, à la rue, dans leur voiture. Mais ils sont tous démunis. Démunis financièrement, démunis face à la barrière de la langue, démunis de réponses, de soutien et d’entraide. « Statistiquement il y a plus de femmes qu’avant, oui. Mais parce qu’il y a plus de personnes en demande tout court. La proportion reste sensiblement la même. Les femmes ont, en revanche, plus de mal à venir vers nous. Elles se cachent pour se protéger. La rue c’est violent. Quand ça fait 3 jours qu’un mec essaie de vous violer, vous prenez d’autres précautions » raconte Lola. 

Réflexions et bilan

Après quelques détours place Wilson, place du Capitole, place de l’Europe, Gare Matabiau, l’équipe se réunit pour un moment de bilan. Ils ont les visages fatigués mais illuminés par l’émotion qui témoignent de l’impact de cette nuit de maraude. Et pourtant ça fait souvent partie de leur quotidien. Chacun exprime son ressenti, ses questionnements, son appréhension de cette nuit de maraude. 

32 personnes rencontrées, 30 hommes, 2 femmes, 8 appels du 115, pas de réponses de 2 bénéficiaires, 1 insulte, 7 chocolats chauds, 10 nouilles, 14 cafés, 4 duvets, 1 thé. Il est 23h56 et c’est le bilan de ces 3h56 heures de maraude. 

Mais au-delà de la distribution de vivres et de vêtements, c’est le partage d’un moment de vie, d’un regard, d’un sourire qui marque, qui est sincère. Dans la noirceur de la nuit, une lueur d’humanité a brillé, et elle rappelle le pouvoir de la solidarité, de l’entraide, de la compassion et de l’humanité. 

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