« La charrette » en école d’architecture : quand la passion devient souffrance

La "culture charrette", se perpétue également sur le marché du travail. ©DR
Depuis des décennies, l'école d'architecture a forgé sa réputation sur une culture exigeante, où la passion se mesure à l'aune de l'épuisement. Cette tradition, connue sous le nom de "charrette", est à la fois glorifiée comme un rite de passage et décriée pour ses effets dévastateurs sur la santé mentale des étudiants. Au cœur de ce récit se trouve Luna, une étudiante en architecture dont le témoignage éclaire les sombres recoins de cette pratique toxique.

L’entrée dans l’arène

Pour Luna étudiante en architecture à l’école MJM de Toulouse, les premiers jours à l’école d’architecture ont été un véritable choc. « C’était comme si nous étions poussés à bout dès le premier jour« , relate-t-elle. Son témoignage résonne avec celui de sa camarade Charlotte, qui évoque un projet intensif imposé dès la première semaine. Cette immersion brutale dans la « culture charrette » marque le début d’un parcours semé d’embûches pour de nombreux étudiants en architecture.

Les racines de la culture charrette

L’origine de la « charrette » remonte au XIXe siècle, lorsque les étudiants en architecture de l’École des Beaux-Arts devaient présenter leurs travaux dans des délais extrêmement serrés. Autrefois considérée comme un symbole de créativité nocturne, elle est devenue une source de stress et d’épuisement pour les étudiants d’aujourd’hui. Luna se souvient des nuits blanches et de la pression constante qui l’ont poussée au bord du burn-out : « Entre les cours, les projets et les travaux pratiques, j’avais l’impression de ne jamais pouvoir m’arrêter. C’était un cycle infernal.« 

L’impact dévastateur sur la santé mentale

La culture de la « charrette » en école d’architecture exerce une pression constante sur la santé mentale des étudiants, les poussant souvent au bord du gouffre. Luna partage son expérience avec une sincérité troublante : « Chaque jour, c’était un défi de jongler entre les exigences académiques, les projets et la recherche d’un équilibre personnel. Mais au fil du temps, la pression est devenue écrasante. » Son témoignage résonne avec ceux d’autres étudiants, qui rapportent des nuits sans sommeil, une anxiété croissante et une dégradation de leur bien-être mental.

Les conséquences de cette pression constante ne se limitent pas à l’épuisement physique. Les étudiants en architecture ,comme Luna, sont confrontés à un cocktail toxique de stress, d’anxiété et de dépression. « Je me sentais constamment dépassée, incapable de faire face à la charge de travail qui ne cessait de s’accumuler », confie-t-elle. Pour beaucoup, la charrette devient un cycle vicieux, où le besoin de réussir se heurte à des attentes irréalistes, menant à des épisodes de burn-out et de détresse émotionnelle.

La perpétuation d’une tradition toxique

Malgré les preuves accablantes des effets dévastateurs de la culture charrette sur la santé mentale des étudiants, cette pratique persiste, alimentée par une combinaison de traditions séculaires et de pressions institutionnelles. Luna se souvient des encouragements de certains enseignants à « travailler plus dur », contribuant ainsi à normaliser l’épuisement au nom de la passion professionnelle.

Cette perpétuation d’une tradition toxique est exacerbée par une culture de compétition féroce entre les étudiants, encouragée par des normes professionnelles rigides et des attentes irréalistes. « Nous étions constamment comparés les uns aux autres, poussés à nous surpasser à tout prix », explique Luna. Cette compétition malsaine crée un environnement où la compétition est glorifiée et la santé mentale sacrifiée sur l’autel de la réussite académique.

En fin de compte, la perpétuation de cette méthode en école d’architecture repose sur une combinaison de traditions anciennes et de pressions contemporaines, alimentant un cercle vicieux de stress et d’épuisement. 

Un appel à la réforme

Malheureusement, malgré les appels à un changement radical dans la façon dont l’enseignement de l’architecture est conçu, les progrès sont lents et insuffisants. Frédéric Gaston, sous-directeur de l’enseignement supérieur et de la recherche en architecture, affirmait déjà en 2021 dans les lignes de L’Étudiant qu’il n’était pas nécessaire de travailler à un rythme effréné pour réussir dans le domaine de l’architecture. Ces paroles résonnent encore aujourd’hui avec une douloureuse ironie alors que la « culture charrette » continue de sévir dans de nombreuses écoles d’architecture, laissant un sillage de destruction sur son passage.

Bien que certains établissements aient pris des mesures pour sensibiliser à la santé mentale des étudiants et réduire la pression exercée par la « charrette », ces initiatives restent largement insuffisantes. Les étudiants se retrouvent souvent livrés à eux-mêmes, confrontés à des exigences démesurées et à des attentes irréalistes sans le soutien adéquat. 

La « culture de la charrette » en école d’architecture, autrefois glorifiée comme un rite de passage, est désormais remise en question. Les témoignages poignants des étudiants mettent en lumière les dangers de cette méthode. Il est urgent de repenser l’enseignement de l’architecture pour promouvoir un environnement d’apprentissage sain et équilibré, où la passion ne rime pas avec souffrance.

Avec des voix comme celle de Luna, l’école d’architecture peut évoluer vers un modèle plus humain, où la créativité et la passion sont nourries sans sacrifier la santé et le bien-être des étudiants.

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