Mirail. Des mains tendues pour les jeunes en proie au trafic de drogue

Dans le quartier du Mirail, passé le périphérique toulousain, des femmes et des hommes s'attachent à sauver les nouvelles générations des griffes du trafic de drogue. Reportage auprès de ces mains tendues...

Dans le quartier du Mirail, passé le périphérique toulousain, des femmes et des hommes s’attachent à sauver les nouvelles générations des griffes du trafic de drogue. Reportage auprès de ces « mains tendues »…

Une femme voilée passe au loin. À chaque respiration, un nuage de vapeur s’échappe de sa bouche. L’air est glacé. Vers l’Est, les premiers rayons du soleil commencent à peine à se faufiler entre les bâtiments de quinze étages. Un jeu d’ombre et de lumière qui dévoile la fatigue des façades. Il est 9 heures. Le quartier du Mirail se réveille doucement.

L’école élémentaire Didier Daurat est barricadée derrière de grandes plaques de taule rouges. Arrivé au moins de septembre, Pierre-Jean Marrocq en est le nouveau directeur. Il a rapidement compris l’inquiétude des parents d’élèves concernant la proximité de l’établissement avec un point de deal notoire du quartier… et a donc favorisé l’instauration d’un dialogue avec les élèves : “Tous les matins, les enseignants leur offrent un temps de parole. Le thème de la drogue revient rarement. Peut-être parce qu’il est tabou dans les familles. Ils nous parlent cependant de l’insécurité quotidienne : ‘Une voiture a brûlé devant ma maison’, ‘La police est venue et a fait beaucoup de bruit chez mon voisin’, ‘J’ai vu des jeunes se battre dans la rue’…”, énumère le directeur pour reprendre les paroles d’enfants.

Sur le parking d’une cité HLM, reposent les débris de ce qui fut un jour une voiture. – Crédits : Emmanuel Clévenot

L’école comme premier rempart

« Prévenir » pour que les plus jeunes n’empruntent pas le chemin du trafic de drogue. C’est un des rôles que doivent endosser les enseignants de cette école classée au réseau d’éducation prioritaire renforcé. Ils sont le premier rempart contre la délinquance. Pourtant, Pierre-Jean Marrocq est aussi convaincu qu’il faut préserver les enfants de ce monde extérieur : “Les faire parler, les écouter, les comprendre, c’est indispensable. Mais d’un autre côté, on essaie aussi de maintenir cette petite bulle protectrice qu’est l’école. On essaie de leur montrer qu’il y a d’autres choses à découvrir”

Avant les vacances de Noël, le jeune chef d’établissement avait requis au maire de quartier la présence d’un agent de sécurité pour faire traverser les élèves le matin et le soir. Il ne sera resté que trois jours. Depuis, silence radio. Car si le dialogue entre enseignants et écoliers est solide, celui avec les élus est inexistant. Assis derrière son bureau, les bras croisés sur le torse, Pierre-Jean Marrocq s’en désole : “L’Etat a quitté le quartier. Alors sûrement est-ce un peu le cas partout, mais ici, il aurait été important de ne pas le faire… Il y a un réel besoin humain. Bien-sûr la répression est parfois nécessaire, mais les gens de la mairie et de la police municipale doivent venir régulièrement au contact des jeunes et de leurs parents”.

La sonnerie retentit. C’est l’heure de la récréation. Avant de franchir la porte donnant accès à la cour, Pierre-Jean Marrocq s’abandonne à une dernière confession : “Quand je vois certains de mes élèves tourner à vélo jusqu’à 19 heures sans surveillance, je sais très bien que quand ils nous quitteront après la CM2, ils risquent de finir « chouf » (guetteur, ndlr) comme leur grand frère. Finalement, qu’est-ce qu’on peut faire si ce n’est leur offrir le meilleur enseignement possible…”.

Des éducateurs au service des dealers

Une BMW aux vitres teintées fait rugir son moteur. Le quartier s’anime peu à peu. Soudain, une voiture de la Police Nationale surgit et freine brusquement devant un scooter, lui empêchant toute manœuvre. “Pourquoi vous m’arrêtez ? », grogne aussitôt le jeune homme casqué. “On vous interpelle parce qu’on vous soupçonne de faire partie d’une équipe”, rétorque la policière. “Bah mauvaise pioche, je suis Uber, Madame”. Les esprits s’échauffent sous la multiplication des blagues provocatrices du motard. Il repartira un quart d’heure plus tard avec, en guise de souvenir, une amende de 11 euros pour non présentation du permis de conduire.

A l’angle d’un tripode, une chaise à l’assise déchirée fait le pied de grue. Devant elle, à même le béton, des cendres froides, vestige d’un feu. Sûrement un guetteur était-il posté là, la veille au soir. Sur un mur est tagué « Weed 24/24 ». Une publicité mensongère à en croire la déception d’un client qui retourne bredouille à sa voiture. Il est trop tôt, le « four » est fermé.

Le soir, sur cette chaise, un guetteur observe les déplacements de la police, réchauffé par un feu improvisé. – Crédits : Emmanuel Clévenot

C’est précisément ici, parmi les dealers, qu’interviennent les éducateurs spécialisés du club de prévention du Mirail. Au nombre de sept, ils partent deux heures par jour à la rencontre des jeunes du quartier pour entretenir le lien social. “Ça commence par un ‘Bonjour’, des conversations naturelles, puis au fur et à mesure que la relation se pose, qu’ils apprennent à nous connaître et que la confiance s’installe, on peut leur proposer différentes choses”. Sans-papiers, certains se verront proposer un accompagnement individualisé pour la régularisation des démarches administratives. D’autres, en quête d’insertion professionnelle, obtiendront de l’aide pour la recherche d’emplois. Et d’autres encore pourront tenter de retrouver les bancs de l’école.

“C’est une démarche qui prend du temps, poursuit Amir. Un suivi sur le long terme qui requiert la présence quotidienne et accrue de nos éducateurs. Quand on se rend sur un point de deal, on sait bien qu’on ne va pas sortir les jeunes du trafic. Non, l’objectif est plutôt d’être identifié, repéré sur le territoire, pour que les jeunes qui en expriment l’envie puissent se rapprocher de nous à tout moment”.

S’amuser pour ne pas sombrer

Midi approche. Sur une grande place piétonne, se réunissent anciens et plus jeunes. Ils ne se mélangent pas mais semblent ne faire qu’un. Accroupi par terre, un homme vend des clémentines du Maroc. “Salam aleykoum”, lance-t-il à tout venant pour attirer la clientèle. Cette atmosphère chaleureuse détonne avec celle qui émane du point de deal, à peine cent mètres plus loin.

A côté d’un vieux laboratoire d’analyse, la devanture poussiéreuse d’un local affiche “Vivre et Comprendre”. Farid travaille dans cette association depuis plus de vingt ans. Avant le Covid, un foyer y était ouvert jusque tard dans la nuit. Babyfoot, ping-pong, retransmission des matchs de Ligue de Champions… Les jeunes s’y retrouvaient tous les soirs, encadrés par des bénévoles dont la mission était de lutter contre la délinquance à travers l’animation et la médiation. Pourtant, le petit homme à la voix rauque ne se fait pas d’illusion : « Évidemment, il y a des parcours qui nous font plaisir. Des jeunes qui sortent de prison, viennent nous voir et décident de se reprendre en main. Mais j’ai aussi connu deux petits gars, ils étaient meilleurs amis, traînaient souvent ici puis l’un a fini par tuer l’autre pour une mauvaise parole, lâche-t-il la voix pleine de regrets. Je suis pas dans la fatalité mais ce n’est pas nous qui allons changer le destin de ces personnes… Nous sommes qu’un levier, une main tendue”.

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