Devenir une moniale : un dévouement total, en dépit des sacrifices

Quand elle a décidé de dédier sa vie à la religion, Sœur Marie-Emmanuel était tout juste majeure. Un choix aux nombreuses conséquences, pour elle et son entourage, puisqu’elle choisit une vie contemplative. Elle rejoint donc l’abbaye de Saint-Eustase dans les Landes : un lieu en marge, au mode de vie atypique.

« Je voulais vivre le grand amour avec un homme ». Sœur Marie-Emmanuel ne s’en cache pas, son ambition première n’était pas de devenir religieuse. Encore moins une qui soit dédiée à la vie contemplative, soit une vie cloîtrée, entièrement consacrée à la prière. Au milieu du silencieux parloir de l’abbaye de Saint-Eustase, la pâle Bénédictine* de 51 ans se tient droite. Assise, les bras le long du corps, la sœur semble discrète, pourtant, son aura envahit toute la pièce. Elle sourit en ponctuant ses phrases d’un petit « c’est comme ça », telle une rengaine.

Car on ne lui a pas imposé le choix d’une telle vie. Selon elle, il est apparu comme une évidence, alors qu’elle n’avait que 18 ans. Une décision qui change radicalement son quotidien. Une ambition qui la fait déménager dans une abbaye isolée en campagne landaise. Un acte qui, par conséquent, installe une distance de près de 1000 km entre elle, sa famille et ses amies.

« J’ai senti l’appel à la vie contemplative »

Quand sœur Marie-Emmanuel parle de sa jeunesse, un large sourire se dessine sur son visage. « Je suis née le jour où les hommes sont partis vers la lune, commence-t-elle. Enfant, je n’étais absolument pas une petite fille plongée dans la piété. J’étais colérique, difficile, très bavarde mais aussi très sociable. Je me suis toujours fait des amis où que j’aille ». Issue d’un milieu très croyant, la fillette se questionne dès son plus jeune âge. « Quand j’ai compris que Dieu avait tout fait, je me suis dit qu’il n’y avait qu’une chose à faire, c’était de se donner à lui, et donc que plus tard, je serai chère sœur ».

Toutefois, l’idée lui sort rapidement de la tête. En effet, Marie-Emmanuel rêve de se marier et d’avoir des enfants. « Plus jeune, j’ai beaucoup flirté avec des garçons, mais je n’en suis pas fière, parce que j’ai beaucoup menti pour cela », raconte-t-elle avec pudeur. « Un jour, j’avais 16 ans, je me suis dit que ce n’était pas comme ça que j’allais trouver le grand amour». Alors elle décide de se confesser auprès d’un prêtre, pour exprimer ses remords vis-à-vis de ces flirts. «Je voulais être vraie». Il faut dire qu’à l’époque, la jeune adolescente est à la fois une lycéenne qui se cherche, et une chrétienne qui va à la messe tous les jours. Elle mène une sorte de double vie, et son désir d’être transparente grandit.

Elle demande alors à un prêtre de devenir son père spirituel. En parallèle, elle enchaîne les missions humanitaires, notamment auprès des missionnaires de la charité, une association créée par Mère Térésa qui vient en aide aux plus démunis. « Mais attention ! Je n’avais pas encore la vocation d’être sœur à l’époque ! », rappelle la sœur en rigolant. Son déclic survient alors qu’elle vient de faire une action humanitaire. Au cours d’une visite chez son oncle et sa tante, elle découvre un foyer où l’alcool a pris le dessus. « C’étaient des clochards, souffle-t-elle encore choquée par cette vision. Il y a eu une sorte d’arc électrique, j’ai été absolument bouleversée et c’est incompréhensible, je sais, mais dans cette détresse que j’ai perçue et qui m’a atteinte, j’ai senti l’appel à la vie contemplative ». Après avoir obtenu son baccalauréat, la jeune femme se rend donc à l’Abbaye de Saint-Eustase, dans la commune d’Eyres-Moncube, afin de confirmer son souhait.

« Qu’est-ce que je fais là ? Bien sûr que je me suis posée la question ! Rigole-t-elle. J’ai mis du temps à dire oui : est-ce Dieu m’appelait vraiment ? Puis je voulais me marier, avoir des enfants. Je devais renoncer à tout cela et en même il ne fallait pas que je le vive comme une frustration. » Malgré tout, la jeune femme est convaincue, elle devient donc une sœur en 1987. Son grand amour, c’est désormais Dieu. Son alliance le témoigne ; à son revers est inscrit le nom de la Bénédictine ainsi que Jésus Christ.

Si elle ne se souvient plus exactement des détails, la grande sœur de Marie-Emmanuel, Catherine, se rappelle avoir été surprise de ce choix. « C’était celle qui avait le plus fort caractère, à mettre les pieds dans le plat. A 14 ans, elle écoutait du rock alors que nous on écoutait du classique. Je ne m’y attendais pas, je ne pensais pas qu’elle renoncerait au couple, mais pour ce qui est de ses valeurs, ça me semblait logique ». Tout comme Catherine, la famille de Sœur Marie-Emmanuel accepte son initiative. Non sans mal. « La personne pour qui ça a été le plus difficile, ça a été ma mère, parce que Marie-Emmanuel n’avait que 18 ans, explique Catherine. Savoir que la grille du monastère se ferme, et que celle qu’elle appellera sa mère c’est sa mère supérieure, c’était compliqué ».

« Ora » et « Labora » : un dévouement par la prière et le travail

Sœur Marie-Emmanuel vit dans une abbaye composée de dix moniales. Toutes élisent ensemble leur abbesse, qu’elles appellent leur mère. L’abbaye de Saint-Eustase est placée sous l’ordre de Saint Benoît, connu sous le nom de l’ordre des Bénédictins, une façon de vivre résumée en deux mots : prières et travail. Cela fait maintenant 33 ans que sœur Marie-Emmanuel adopte un mode de vie spécifique. La prière représente une part importante de ses journées. Quatre heures par jour pour celle chantée, une heure pour la prière personnelle et une heure pour les lectures divines. Le reste du temps, la moniale travaille : elle tient un jardin, s’occupe de l’abbaye et des tâches ménagères. Seules 30 minutes de pause lui sont accordées chaque jour. De plus, les sorties sont rares, elles ne concernent que l’achat de produits nécessaires, le vote et la formation.

« On ne sort pas pour voir notre famille, sauf exception », précise Sœur Marie-Emmanuel. Ses parents étant désormais âgés et malades, elle a eu l’autorisation de se rendre auprès d’eux deux fois durant ces cinq dernières années. Des visites que sa sœur Catherine aimerait plus nombreuses. Parfois, l’incompréhension la gagne : « C’est bien de prier mais si on ne peut pas voir ses parents malades, ça sert à quoi ? ».

Cette distance ainsi que ces pensées parfois radicales, Catherine en a souffert. « J’ai accepté son choix, même si je ne pouvais plus la voir autant et faire des trucs avec elle. Mais 15 ans après, j’ai divorcé et Marie-Emmanuel n’était pas d’accord avec ce que j’avais fait. Il y a eu plusieurs années où on ne s’est plus parlé. C’était dur parce qu’on était très proche ». Aujourd’hui de nouveau en très bons termes, les deux sœurs discutent plusieurs fois par semaine via courriel et téléphone. Malgré ses réserves, Catherine ne changerait pour rien au monde la situation : « Ce que Marie-Emmanuel vit est tellement fort et précieux que je suis très contente pour elle ».

La cloche retentit. Il est 17h45, l’heure des vêpres, office du soir. Calmement, Sœur Marie-Emmanuel se lève et replace avec délicatesse son habit blanc. Elle quitte le parloir pour se rendre à l’église. Les notes des chants latins résonnent désormais dans le lieu sacré. Derrière la barrière qui sépare les sœurs du reste du monde, Sœur Marie-Emmanuel n’a aucun regret.

*Bénédictine : religieuse de l’ordre de Saint-Benoît.

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