Esport : la face cachée de l’iceberg

Depuis quelques années, l’esport commence à s’imposer dans le paysage vidéo-ludique français. À tel point que certaines personnes et entités souhaiteraient en faire une véritable discipline. Cependant, pour en arriver à ce stade-là, il est nécessaire d’éclaircir plusieurs zones d’ombre.

« Le sport électronique (esport en anglais) désigne la pratique sur Internet ou en LAN-party d’un jeu vidéo seul ou en équipe, par le biais d’un ordinateur ou d’une console de jeux vidéo. » Voilà comment pourrait définir le phénomène esport, qui, année après année, prend de l’ampleur et se développe de manière exponentielle. La pratique du jeu-vidéo par pur plaisir et loisir semble désormais tendre vers un autre modèle, celui de la compétition. 

Ces dernières années, de nombreux éditeurs de jeux-vidéos ont investi du temps, et de l’argent, afin de créer une véritable discipline autour de ces licences. Championnat du monde, de France, ligue interrégionale. Rien n’est laissé au hasard. Cependant, au vu de son statut dans l’Hexagone, l’esport doit régler certains problèmes complexes afin d’obtenir sa pleine reconnaissance, notamment au niveau de la législation.

Un métier extrêmement précaire

Si gagner de l’argent pour « seulement » jouer à un jeu-vidéo peut paraître aberrant pour une partie de la population, le tableau n’est pas si rose. À contrario d’une carrière sportive lambda, celle d’un joueur esport peut durer une année. Une précarité qui peut avoir de grandes conséquences suite aux différents sacrifices pour en arriver là. Un constat expliqué par Sébastien Verges, Directeur général associé chez WAT Social Club et qui accompagne des structures esportives comme Solary. « C’est un milieu jeune, qui va trop vite. Plus vite que la législation. Après, la loi numérique a réglé certains problèmes. Néanmoins, les contrats des joueurs sont peu fiables, ce sont des CDD esport. On pourrait qualifier cela de contrat d’auto-entrepreneur déguisé. Le métier est donc très précaire pour le moment. »

 En France, les structures font également face à la concurrence des autres pays européens. Là où les statuts d’auto-entrepreneur sont moins chers. L’argent est d’ailleurs l’un des soucis majeurs reflétant la situation de l’esport.


Des éditeurs obnubilés par le côté marketing

Lors des derniers championnats du monde de League of Legends, l’un des jeu-vidéo les plus populaires depuis une dizaine d’années, les Chinois de l’équipe Invictus Gaming se sont partagés plus de 6 millions de dollars. Epic Games, l’éditeur de Fortnite, annonçait en mai dernier l’attribution de 100 millions de dollars de cash prize pour les différentes compétitions. Des chiffres certes élevés, mais qui reflètent l’impact économique de l’esport.

Si de telles sommes sont allouées, il est bien évident que les éditeurs de ces jeux souhaitent rentabiliser ces investissements. Romain Caso, président de AllForOne et Business Developer d’Olympe, dresse un portrait peu reluisant de ces géants du jeu-vidéo. « Blizzard, l’entreprise qui a développé Overwatch, s’en moque de l’intérêt de l’esport. La chose qui leur importe, c’est le chiffre de fin d’année. Le budget se divise en deux. 90 % dans le pôle marketing contre 10 % dans le pôle esport. » Des problèmes d’investissements qui démontrent, qu’à l’heure actuelle, l’esport est loin d’être un sport. « Il n’y a pas de leviers comme les droits télé dans le football par exemple » conclu Sébastien Vergès. Mais au-delà du côté économique, l’esport rencontre un véritable problème éthique.


L’apparition de syndicat comme solution ?

Il est important de savoir qu’une carrière esportive peut démarrer très tôt. Les meilleurs joueurs du monde, qu’importe la plateforme et le jeu, ont entre 13 et 21 ans. Ce sont donc des jeunes, rapidement mis dans la lumière, qui doivent composer avec de nouveaux facteurs : popularité, pression et argent. « Il est important de leur ouvrir les yeux sur l’environnement. Ce sont souvent des gens isolés socialement. Leur scolarité est peu saine, il faut sacrifier des centaines d’heures au détriment des cours. Ainsi, quand ils arrivent dans l’esport, ils n’ont aucune idée de la réalité d’aujourd’hui. » La question du harcèlement moral est également présente. La communauté peut être nocive, notamment envers les femmes, souvent désignées comme première responsable en cas d’échec dans les équipes mixtes.

Créer un syndicat pour réguler tout cela aurait donc un sens. C’est l’avis de Sandrine Zelinsky, Business Developer et coach certifié. « Il faudrait créer un syndicat, afin de faire pression et être reconnue comme une véritable activité. Surtout au niveau des joueurs, ils ne peuvent pas être à la merci des éditeurs. » L’arrivée d’une fédération pourrait permettre de créer un vrai dialogue avec les acteurs et résoudre de nombreux problèmes.

Enfin, la France dispose d’un retard conséquent en matière d’esport concernant ses voisins européens, sans parler de l’Asie. « Les gens voient l’esport comme un nouveau domaine et comme s’il fallait repartir de zéro. Pour certains, ce n’est pas du sport, ce n’est qu’un amusement. Pour d’autres, c’est rien du tout. La France à cette intellectualisation de tout reprendre de zéro. Il y a un véritable problème d’efficacité, comparé à la Suisse qui a comblé son retard en quelques mois. »


Bien entendu, il faut relativiser sur la situation actuelle de l’esport en France. Cette notion, encore jeune, apprend en douceur afin de prétendre à une plus grande part du gâteau. L’avenir devrait être plus radieux et pourrait permettre à cette activité de réclamer le statut qu’elle espère. De là à voir un jour des compétitions de jeux-vidéos lors des Jeux-Olympiques ? Paris 2024 y avait songé avant de se rétracter. Ce n’est qu’une question de temps.


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