Dans la nuit du 4 au 5 février, un vent de panique a parcouru les bourses mondiales. La cause ? Un mini « crack » mondial dû à la vente massive d’actions. Jacques Sapir, économiste et sociologue, explique les raisons de ce crack et ce qu’il pourrait engendrer.
Depuis quelques heures, les courbes de la bourse font beaucoup parler d’elles. Le Down Jones, indice de bourse le plus important, a fini à son taux le plus bas (-4.60%) pour la première fois depuis… 2008. Interrogé par nos soins, Jacques Sapir, économiste, sociologue et directeur de l’EHESS depuis 1996, nous explique les raisons de ce « crack ».
À quoi est due cette chute soudaine du cours de la bourse ?
On sait depuis de nombreux mois que, s’il y avait une augmentation des taux obligataires américains, il y aurait une baisse sur le marché des actions. On pensait qu’elle serait plus progressive que ce qu’elle a été. On n’envisageait pas du tout la possibilité d’un « mini crack » comme ça s’est passé vendredi dernier (2 février) ou hier (lundi 5 février).
La deuxième cause est due aux fortes hausses auxquelles on a assisté depuis plusieurs mois. Plusieurs opérateurs, qui ne sont pas des opérateurs boursiers « normaux », voient une opportunité particulière d’investissement. Ils sont rentrés sur le marché en achetant des actions à prix fort, et dès qu’il y a une chute des cours, ils se rendent compte que le coût réel de l’action devient inférieur au prix auquel ils l’ont acheté. Du coup, ils s’affolent et vendent leurs actions.
Ces chutes boursières sont-elles un rappel à l’ordre ?
Il y a, dans les baisses, une sorte de rappel à l’ordre. Il y a également des choses beaucoup plus structurelles. Par exemple, les taux obligataires américains ont dépassé les 2,5 % et tout le monde savait qu’il y aurait des problèmes sur la bourse. Là, cela concerne davantage l’évolution de la structure macro-économique. Il ne faut pas oublier que la bourse monte depuis 2 ans sur la base des résultats des entreprises. Or, les bénéfices sont importants, mais on voit bien que la croissance de la demande réelle ne suit pas du tout cette évolution, ce qui peut laisser présager des corrections encore plus importantes. Le problème de la crise de surproduction se posera alors.
Est-ce comparable avec ce qu’il s’est passé lors de la crise de 2008 ?
Le mécanisme est un petit peu différent. Il est lié à des facteurs concernant l’évolution économique, et non celle d’un marché, comme le marché économique pour la crise de 2007. On retrouve tout de même des mécanismes et des causes qui ne sont pas si différents de ce qu’on a connu en 2007/2008. Il y a aujourd’hui un grand développement du crédit. Les ménages, en particulier aux États-Unis, ont tendance à compenser la baisse ou la stagnation de leur pouvoir d’achat par un endettement qui devient de plus en plus important. Et ça, pour le coup, ce n’est pas sans rappeler ce qui s’est passé en 2007/2008.
Qu’est-ce qu’on peut craindre à l’avenir ?
Je n’utiliserai pas le mot « craindre ». Il faut savoir comment cela va évoluer. Il est clair qu’aujourd’hui les banques centrales jouent un rôle sur la question des marchés. On ne peut plus avoir le type d’effondrement qu’on a eu par exemple avec la banque Lehman Brothers en 2007/2008. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de risques importants. Ils sont liés au fait qu’il y a un décalage extrêmement important entre l’évolution de la valeur ajoutée et la répartition de cette valeur ajoutée, plus précisément sur la hausse des salaires. Si cela continue, on ne devrait pas assister à une simple « correction », mais à un phénomène peut-être plus catastrophique, qui ne se produirait pas maintenant, mais d’ici 2 à 3 ans. On sent qu’il y a un réel problème, du point de vue des évolutions économiques, qui se traduira nécessairement à un moment donné par un problème boursier.
Et en France ?
En France, nous voyons déjà que le CAC40 (indice boursier de la Banque de Paris, ndlr) a chuté de manière importante. Cependant, ce problème concerne beaucoup plus les sociétés financières, car en France l’activité boursière reste assez spécialisée et réduit la possibilité de risque de crise pour les différents agents.