Romain Blvck, des ciseaux à l’aiguille

Le tatouage en a (presque) fini avec ses clichés, et vous êtes de plus en plus nombreux à l’avoir dans la peau. Depuis quelques années, la discipline rencontre un véritable succès, et des centaines de tatoueurs ont émergé en France. Aujourd’hui, il n’est pas rare de rencontrer des tatoueurs autodidactes ou reconvertis. 

On retrouve Romain devant le Cockney Bar Tattoo, il nous propose de fumer une cigarette avant de commencer, et nous raconte qu’il bosse ici depuis peu. A 23 ans, Romain loue un petit studio au premier étage de ce bar, dans le centre de Toulouse. Il y a deux ans, cet ex-coiffeur est passé des ciseaux à l’aiguille. Un changement de cap qu’il ne regrette pas, car il a toujours aimé le tatouage, et dessine depuis longtemps. Il finit sa clope et nous fait entrer. L’endroit est sympa, on ne s’y attarde pas trop, et on file au premier. « Blvck Way« , c’est le nom que Romain a choisi pour son studio, on imagine que c’est parce son truc à lui, c’est de travailler avec des encres noires et grises.

Ce qui motive Romain dans le tattoo, « c’est la précision et la technique« . Passer des heures à dessiner, à se concentrer sur sa feuille afin d’être le plus précis; « il faut être patient« , c’est aussi ça son truc à Romain. Comme les peintres autrefois, il a eu son « maître », « mon tatoueur a appris tout seul, et là je me suis dis ‘putain mais on peut aussi apprendre tout seul sans passer par un apprentissage de cinq ans, à galérer comme un taré pour trouver un tatoueur qui accepte de nous former’. Et le voir réussir, c’est ça qui m’a fait comprendre que c’était possible. Et j’ai tenté ma chance« . Devenir tatoueur c’est à la fois simple et compliqué. Sur le papier, n’importe qui peut devenir tatoueur, mais tout le monde ne peut pas devenir un artiste. Malgré son bon coup de crayon, les débuts ne sont pas faciles, « ça a été très long, j’ai appris tout seul. Pendant deux ans j’ai fais ça chez moi avec un dermographe de merde, des petites aiguilles à deux balles qui venaient de Chine, de l’encre de Chine dégueulasse qui tournait au vert après cicatrisation. J’avais mon boulot à côté, c’était galère« . Mais une fois l’engin maîtrisé, Romain a dû faire face à une autre difficulté, la concurrence. Les tatoueurs ont dû répondre à la demande du peuple, et s’adapter à la démocratisation du tatouage. Avec une quarantaine de shops rien qu’à Toulouse, fidéliser sa clientèle est presque devenu un combat. « C’est un milieu qui est très difficile à intégrer. Quand tu t’installes en tant que tatoueur et que t’es pas connu, tu peux même avoir des menaces de mort. Faut pas croire, c’est un milieu très particulier. Mais même si c’est dur, y’a quand même beaucoup trop de monde qui se lance là-dedans« .
L’absence de formation explique certainement cette effervescence. A la fois amusé et désabusé, Romain nous explique que pour ouvrir son shop, une formation d’hygiène est nécessaire. Trois jours de formation à 600€, qui se résument à lire des pages et des pages de PDF, tout ça pour un bout de papier. « On t’apprend sans vraiment te montrer, y’a pas d’examen à passer. En gros, tu payes et t’as ton diplôme. Heureusement, ça va changer, il faudra bientôt passer un concours. Mais il faudrait créer une Académie du tatouage, avec une véritable formation« . En France, il existe deux écoles de tatouage, mais c’est encore trop peu. Il y a quelques mois, Najat Vallaud-Belkacem, la ministre de l’Education Nationale, se disait favorable à la création d’un CAP tatouage, une idée qui a pourtant déplu à une grande partie des tatoueurs. La raison? Le CAP serait un apprentissage trop léger et pas assez sélectif.

La discussion poursuit son chemin, et après évoqué ses débuts laborieux, on aborde la question de l’argent. Paraît-il que ça rapporte bien d’être tatoueur. Mais comme tout, c’est relatif, tout dépend du carnet d’adresse. « Pour le moment je suis obligé de bosser à côté pour m’en sortir financièrement, mais normalement d’ici un an, je devrais être totalement dépendant, c’est mon objectif« .
Et il y a des tatoueurs qui ont largement dépassé leurs objectifs, avec des shops qui s’apparentent parfois à des usines à tatouer. Alors, le tatouage, c’est une passion ou un business? La question mérite d’être posée, et c’est en toute honnêteté que Romain y répond : « Y’a les deux, y’en a qui font ça pour le business, quand t’as la clientèle qui suit c’est facile et c’est sûr que ça peut rapporter beaucoup. Et après t’as des vrais artistes tatoueurs, qui sont passionnés et qui prennent le temps« .

La passion, Romain l’a, c’est indiscutable. C’est un artiste, créatif, et minutieux. Egalement intègre, il assure qu’il n’acceptera jamais de tatouer quelqu’un s’il ne maîtrise pas la technique demandée, ou si la demande est trop étrange, « une fois, une fille est venue au studio avec un dessin un peu bizarre. C’était un pénis qui faisait du skate sur un clitoris. J’ai refusé parce que j’avais vraiment pas envie d’être associé à un phallus…« . Et des demandes un peu farfelues, il sait qu’il en aura d’autres. Car n’oublions pas que le tatouage est un art, et que tout (ou presque) est permis. Cette discipline, au même titre que la mode, le cinéma ou la littérature, a ses incontournables mais connaît également des tendances, des mouvements. Pour certains, le tatouage est un acte de mutilation, et pour d’autres c’est un art à part entière, et qui mérite d’être accepté comme tel. Le tatoueur Tin-Tin, grand nom du tatouage, a même pour but que la discipline soit reconnue comme 10ème art. « Aujourd’hui, la plupart des gens qui veulent se faire tatouer vont sur internet pour trouver des idées« . Internet aurait-il une influence sur les tatouages qui se font aujourd’hui? Romain ne cache pas qu’il traîne lui aussi, comme beaucoup d’autres tatoueurs, sur Instagram ou Pinterest, des réseaux sociaux qui regorgent de photos et de dessins. Bien sûr, l’intérêt pour Romain c’est de ne pas calquer bêtement le dessin d’un autre, mais de laisser place à son imagination. « Il y a quand même beaucoup de gens qui viennent sans savoir ce qu’ils veulent, ils veulent juste un tatouage. C’est chiant parce que le tatouage c’est pas rien, ils comprennent pas ce que c’est le tatouage…« . Mais tout les clients de Romain ne sont pas comme ça, et le plus important pour lui, c’est de voir les gens partir avec le sourire, contents de leur tatouage. Même si parfois, certains clients ont dû mal à montrer leur joie, crispés après avoir passé des heures sur une table à se faire piquer.

Notre rencontre avec Romain se termine là. Il nous raccompagne jusqu’à la sortie du bar, nous fait la bise comme si on était des potes, et retourne à son studio. On entend presque encore le bruit lancinant de son dermographe.

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