En France, le rôle de maire traverse une crise sans précédent. Autrefois symbole de proximité et de pouvoir local, cette fonction est aujourd’hui marquée par des défis structurels et des pressions croissantes. Depuis 2020, près de 2 400 maires ont démissionné, soit une hausse de 60% par rapport au mandat précédent. Ce chiffre, relayé par l’Association des maires de France (AMF), met en lumière une fragilité inquiétante pour la démocratie locale.
Frédéric Parre, maire Parti socialiste (PS) de Tournefeuille, une commune de 30 000 habitants, illustre cette désillusion. Cet ancien haut fonctionnaire des finances, âgé de 61 ans, ne mâche pas ses mots : « Nous sommes au bout d’un système. Le modèle financier des communes est à bout de souffle. » Face à des dotations de l’État en baisse et à des dépenses croissantes pour maintenir les services publics, il déplore une perte de liberté d’action pour les élus locaux.
L’édile évoque aussi un poids mental considérable : « Je me réveille parfois à 4 heures du matin pour réfléchir au budget ou arbitrer des décisions difficiles. » À cela s’ajoute. Une relation complexe avec les administrés, marquée par des attentes souvent irréalistes. « Nous n’avons plus les moyens de répondre à toutes les demandes des habitants, ce qui est frustrant pour un maire. »

Malgré son attachement à la fonction, il comprend pourquoi tant de ses collègues choisissent de jeter l’éponge. Selon lui, la complexité des normes, l’isolement face aux responsabilités et le manque de soutien suffisent à décourager les plus motivés.
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« Cette fonction n’est pas faite pour tout le monde »
À Saint-Jory, Victor Denouvion, jeune maire PS de 33 ans, offre un regard plus optimiste. Pour lui, la crise des vocations n’est pas une fatalité. « Si certains élus arrêtent, c’est souvent parce qu’ils perdent la passion. Mais moi, ce qui me motive, c’est l’envie de transformer le quotidien des gens. »
Malgré les défis, il reste convaincu que la fonction de maire peut être gratifiante. Dans une commune en forte expansion démographique, avec une population passée de 5 000 à 10 000 habitants en quelques années, Denouvion doit jongler avec des problématiques comme le manque de médecins, la saturation des écoles et l’urbanisation rapide. « Nous avons décidé de ralentir les constructions pour construire d’abord les infrastructures nécessaires, et cela demande des efforts constants. »

Pour autant, il refuse de céder au pessimisme ambiant. À ses yeux, la fonction de maire reste un engagement enrichissant, à condition de rester passionné et de savoir s’entourer. « Cette fonction n’est pas faite pour tout le monde, mais pour ceux qui aiment les gens et veulent avoir un impact direct sur leur quotidien, c’est l’un des meilleurs rôles politique. »
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Un défi commun pour l’avenir des communes
Malgré leurs visions opposées, les deux maires s’accordent sur un point : les défis de la fonction nécessitent une réponse collective. Frédéric Parre appelle à une réforme structurelle, notamment en matière de fiscalité locale. « Il faut revoir le système de financement des collectivités, qui repose aujourd’hui sur des dotations étatiques insuffisantes. Sans cela, les communes n’auront plus les moyens de répondre aux besoins des habitants. »
Victor Denouvion, lui, plaide pour davantage de soutien et de simplification administrative. « Nous avons besoin de normes adaptées et de plus de moyens pour faire face aux réalités locales. Mais au-delà de cela, il faut aussi redonner envie aux citoyens de s’impliquer dans la vie publique. »
La situation des maires de France appelle à une réflexion plus large sur le modèle démocratique et l’organisation des collectivités locales. Si les témoignages des élus montrent que la passion peut encore être un moteur, ils mettent également en lumière les limites d’un système financier et administratif devenu oppressant. À l’heure où plus de 50 % des maires déclarent qu’ils ne souhaitent pas briguer un nouveau mandat en 2026, selon une étude de l’AMF, une question se pose : comment redonner à cette fonction un caractère attractif et pérenne ?