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Booktok : libraire, un métier connecté

Le rayon "Jeunes adultes" de la Fnac Toulouse-Wilson. Crédit photo : Maëlle Barreau

La Femme de ménage, Jamais plus, Nous les menteurs… Chaque jour, de nombreux ouvrages explosent sur les réseaux sociaux. C’est le “phénomène Booktok”. Les tendances vont vite, très vite, parfois trop vite. Pour répondre aux nouvelles demandes des clients, les libraires ont été obligés de s’adapter.

Sur le réseau social Tiktok, près de 44 millions de vidéos dédiées aux livres sont comptabilisées sous le #Booktok (contraction entre “books”, livres en anglais, et “Tiktok”, le nom de la plateforme). Depuis 2019, les lecteurs ont construit une véritable communauté sur Internet. Recommandations, critiques, avant-premières… les idées de contenus ne manquent pas. Ainsi, il y en a pour tous les goûts : thrillers, mangas, non-fiction ou encore romance. C’est d’ailleurs un des genres qui fonctionne le mieux sur les réseaux sociaux.

Sur Instagram, le #romance comptabilise à lui seul 31 mille publications. Des avis de lecteurs, mais aussi des citations et des extraits des ouvrages les plus populaires. À Toulouse, en 2023, une boutique spécialisée dans le domaine a ouvert, pour le plus grand bonheur des amateurs du genre. Troisième boutique de l’enseigne du Comptoir du rêve, elle répertorie des ouvrages de romance et de tous ses sous-genres, en français et en langues étrangères.

La gérante, Axelle Boitelle, est libraire depuis 15 ans. Elle-même lectrice de romance, elle se rappelle avoir eu par le passé des difficultés pour trouver certaines références : “Parfois, il fallait faire cinq librairies pour trouver le livre que l’on voulait !”, se souvient-elle. Avant l’explosion du genre sur les réseaux sociaux, les boutiques de livres étaient parfois hésitant à exposer de la romance. “C’était une lecture cachée, presque honteuse”, raconte la libraire.

Le rayon romantasy au Comptoir du rêve. Crédit photo : Maëlle Barreau

Le rayon romantasy au Comptoir du rêve. Crédit photo : Maëlle Barreau

Selon elle, sans les réseaux sociaux, ce sentiment de honte n’aurait jamais pu être dépassé. Aujourd’hui, celle que l’on a appelé “la librairie de Booktok” mets un point d’honneur à diversifier son stock : “Ça reste une porte d’entrée vers le genre, mais il y a tellement d’autres belles références !

La tendance rythme la demande

En boutique généraliste aussi, la romance a la cote. Tellement qu’à Gibert Toulouse, la Dark Romance, sous-genre violent de la romance, a été reclassée au rayon adulte. La boutique est spécialisée dans la vente de livres d’occasion, mais propose tout de même environ 40% d’ouvrages neufs. Depuis son arrivée dans l’enseigne il y a trois ans maintenant, Maéla Masmoudi constate que les réseaux sociaux prennent de plus en plus d’importance. Responsable du rayon jeunesse, elle se dit “toujours à l’affût” des dernières tendances : “Dès qu’un livre devient populaire sur les réseaux sociaux, on nous le demande !

À la Fnac, même constat : “On arrive parfois à deviner quel livre fait le buzz sur les réseaux sociaux en fonction des demandes des clients”, explique Elisa, conseillère Fnac au rayon littérature. Sur les trois dernières années, la moyenne d’âge de sa clientèle a baissé. Mais selon la conseillère, les réseaux sociaux n’en sont pas la seule cause : “le Pass culture y est pour beaucoup”, affirme-t-elle.

NDLR : Lancé en 2021, le Pass culture est un dispositif de l’État qui fournit aux jeunes une bourse dédiée aux dépenses culturelle. À partir de 15 ans, les adolescents débloquent chaque année une somme (20, puis 30 euros). Puis, à 18 ans, ils accèdent à un porte-monnaie de 300 euros, à dépenser sur deux ans dans la culture. Et notamment, dans l’achat de livres. D’ailleurs, les librairies qui l’acceptent n’hésitent pas à le rappeler à leur jeune clientèle.

Quand certains jubilent, d’autres étouffent

À Gibert, Maéla Masmoudi a, elle, vu sa clientèle se diversifier ces dernières années. À son arrivée, son rayon visait principalement les 13-16 ans. “Il y avait très peu de références Jeunes adultes”, se souvient-elle. Aujourd’hui, ce rayon s’est largement développé, pour son plus grand bonheur, elle qui est grande lectrice des ouvrages YA (Young Adult). Et avec la popularité de ces titres sur les réseaux sociaux, un public plus âgé s’est intéressé à son rayon. “Aujourd’hui, je conseille des lecteurs dès l’âge de 13 ans, et jusqu’à la trentaine !”, affirme la libraire.

Le rayon jeune adulte à Gibert Toulouse. Crédit photo : Maëlle Barreau

Le rayon jeune adulte à Gibert Toulouse. Crédit photo : Maëlle Barreau

Selon une étude conduite par Words Rated en 2023, plus de 60% des utilisateurs américains de Tiktok ont déjà lu un livre qui leur a été recommandé sur le fil d’actualité de l’application. “Ça a révolutionné le métier”, assure Axelle Boitelle. “Les réseaux sociaux sont une porte d’entrée aux différents genres niches. Maintenant, le libraire doit apporter à ses clients d’autres références”, ajoute la libraire.

Mais parfois, l’engouement créé par les réseaux sociaux est trop fort, et les livres en souffrent. Car quand les communautés booktok et bookstagram s’intéressent à un titre, il se retrouve sur le devant de la scène, et se vend comme des petits pains. Tellement, que ses camarades de rayons en deviennent presque invisibles. “C’est notre travail de réussir à donner leur moment de gloire à ces ouvrages-là également”, lance Maéla Masmoudi.

Pour Elisa, conseillère Fnac, l’exemple le plus flagrant est celui de la Dark romance : “Ce genre fonctionne très bien sur les réseaux sociaux. De plus en plus, on a des demandes de ces titres par un public trop jeune, qui n’est pas concerné par les sujets traités”. Ces dernières années, les couvertures de ces ouvrages ont évolué. “Avant, c’était flagrant, il y avait un homme torse nu sur le devant du livre, on était clair sur ce qu’on achetait”, explique la vendeuse. Aujourd’hui, les maisons d’éditions rentrent dans le jeu des réseaux, et produisent des couvertures plus neutres.

Une évolution dont se réjouit la gérante du Comptoir du rêve : “Cette image d’homme à moitié nu contribuait fortement à ce que les lectrices aient honte de leurs lectures”, affirme-t-elle. Aujourd’hui, Axelle Boitelle constate que ses clientes sont en recherche de nouvelles références. “Bien sûr, on me demande souvent les titres populaires sur Tiktok, mais de plus en plus, les gens s’en lassent”, explique la libraire. Les algorithmes poussent plus ou moins toujours les mêmes titres. Désormais, les lecteurs sont en demande de nouveauté.

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