« On s’auto-médicalise parce que pour obtenir un rendez-vous, il faut 15 jours »

Anne-Lise COUINEAU et Jean-marc IZRINE membres et représentants du collectif de santé, des comités de quartiers (centre-ville de Toulouse). © Agnétha GUITTEAUD.
Engagés dans la bataille contre les déserts médicaux, Anne-Louise COUINEAU et Jean-Marc EZRINE, deux fervents représentants du collectif de santé des comités de quartiers du centre-ville de Toulouse, témoignent de leur lutte acharnée pour garantir l'accès aux soins pour tous. Ils partagent aujourd'hui leurs revendications, leurs espoirs et les défis rencontrés dans la réussite de cette mission. Retrouvez le témoignage de deux acteurs déterminés à faire face à une réalité préoccupante, porteurs d'une voix collective qui refuse de rester silencieuse devant les enjeux cruciaux de notre système de santé.

Comment est né le collectif ?  

Jean- Marc Izrine : « En parlant entre voisins, entre famille ou entre amis, nous nous sommes rendu compte que beaucoup d’entre nous peinait à trouver un médecin. Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est l’annonce de la fermeture du cabinet médical d’Arnaud Bernard, car 3 médecins partaient à la retraite. L’idée a été de contacté les comités de quartiers où la situation semblait similaire, afin de réfléchir aux possibles actions à mener. Quatre comités participent au collectif : ceux d’Arnaud Bernard, Arcabe-Bahl, Chalets-Roquelaine et Compans-Caffarelli. Nous avons commencé en janvier 2023, avec pour but premier de lutter contre les déserts médicaux« .

Quels sont les actions menées par le collectif pour faire entendre sa voix ?  

Jean-Marc Izrine : « Une pétition a été lancée sur internet premièrement. Elle a pour but d’obtenir de l’aide pour la démarche du collectif, afin d’obtenir la création d’un lieu pluriprofessionnel de santé accessible à toutes et tous. Pour toucher plus de monde, nous l’avons fait signer à notre entourage, et nous avons également décidé d’aller dans les rues, devants les marchés, à l’entrée de Carrefour et autres pour partager et faire signer cette pétition. Des réunions aussi ont été organisés : une le 16 octobre, où il n’y avait que les habitants des quartiers, pour connaître les problématiques et interrogations de ces derniers. Ainsi qu’une deuxième réunion le 22 janvierl’ARS, la CPAM, les représentants du conseil régional et général, des députés ainsi que des représentants de la mairie étaient présents. L’ordre des médecins ainsi que la préfecture n’étaient malheureusement pas présents ».  

Quels sont les objectifs et les demandes du collectif ?  

Anne-Lise Couineau : « C’est une problématique qui touche les jeunes et les moins jeunes. Afin de pouvoir exposer nos revendications de façon concrète, le collectif a effectué toute une recherche d’informations sur le désert médical au centre-ville de Toulouse. Nous avions besoins de données précises et fiables. Le collectif demande donc, dans un premier temps, à ce qu’il y ait un lieu de santé qui puisse émerger à la cité administrative de Compans-Caffarelli, qui se libère début 2024. On souhaiterait que tout ne soit pas vendu au privé pour faire des logements. Surtout que dans moins de 10 ans, 7 à 10 000 habitants devraient s’installer à Toulouse, mais toujours avec moins de médecins. Le député la France insoumise, Hadrien Clouet, a proposé à la mairie, à la région et au département de faire une note collective s’adressant au préfet, afin que dans les locaux qui seront vendus, certains servent à accueillir des médecins généralistes et spécialisés pour les habitants ».  

Pourquoi les médecins partant à la retraite n’arrivent-ils pas à être remplacés ? 

Jean-Marc Izrine : « Le principal obstacle réside dans les coûts élevés associés à l’installation et à l’adaptation des nouveaux médecins généralistes ou spécialisés, dans notre ville. Ces professionnels expérimentés hésitent en raison des charges financières liées à l’acquisition d’un cabinet médical, au logement, et aux frais d’établissement. Il est vraiment important de trouver des solutions, pour attirer et faciliter l’intégration de nouveaux médecins. Il faut rendre la ville un peu plus attractive qu’elle ne l’est déjà, avec par exemple de nouvelles crèches dans les quartiers qui en manque. Ou encore de nouveau lieu de santé comme on le demande. Tout cela dans le but d’assurer la continuité des soins de santé de qualité au sein de notre quartier ». 

Comment les habitants se sentent-ils face à ces déserts médicaux ?

Anne-Lise Couineau : « Ils sont démunis et désespérés. Il y a des étudiants qui nous disent qu’ils doivent faire 30 minutes de métros, en étant malade, pour aller chez un médecin généraliste. Ils avaient besoin d’une consultation, dans l’état où ils étaient, ce n’est pas une téléconsultation qui allait prendre leur tension ou quoique ce soit. Quant aux personnes âgées, ce n’est même pas la peine. On a rencontré une très vielle dame adorable, qui habite à Compans Caffarelli et qui a signé la pétition. Malheureusement, sont médecin est parti à la retraite et par miracle, elle a réussi à trouver un médecin rue Matabiau. Mais du point de départ au point d’arriver, ça lui fait une trotte. Et même si elle prend le métro, ça lui fait un bout de chemin, elle ne peut pas le faire en étant malade ! ».

Vous sentez vous écouter par les différentes institutions présentes à votre dernière réunion ? 

Anne-Lise Couineau : « Le lundi 22 avril prochain, nous faisons une nouvelle réunion publique, où les différentes institutions seront de nouveaux invités. On verra qui viendra ou non, mais l’essentiel est de travailler ensemble. Je ne sais pas si nous sommes écoutés, en tout cas il y a des réponses de la mairie, mais via la presse. Pas à nous directement. Alors est-ce que nous sommes vraiment écoutés ? Très bonne question, mais ce que nous constatons, c’est qu’il n’y a pas eu de réunions sur le futur aménagement de la cité administrative. Il y a certes au des réunions organisés par les maires de quartiers, mais ces dernières concernaient le devenir de la cité administrative destinée à deux quartiers adjacents, sans consultations des habitants, membres du collectif ».

Pensez-vous que les nouvelles plateformes de e-santé soient une bonne ou mauvaise nouvelle, face aux déserts médicaux ? 

Anne-Lise Couineau : « C’est une solution pratique quand on est jeune et en bonne santé. C’est surtout pratique si vous avez un ordinateur, si vous savez vous en servir et si vous pouvez vous payer internet. Je pense que ça exclut une bonne partie de la population. Les personnes ayant des problèmes de vues aussi par exemple, comment font-elles ? C’est un outil supplémentaire, mais pas une solution au manque de soins à mes yeux ».

Jean-Marc Izrine : « Il y a d’une part Doctolib et les téléconsultations. Doctolib, j’ai essayé de prendre des rendez-vous, avec mon médecin. Ça marche, mais il est tellement occupé que j’ai le temps de guérir avant d’avoir un rendez-vous. À plusieurs reprises j’ai essayé de prendre des rendez-vous avec des spécialistes mas ça ne fonctionne pas. Quand on va sur internet, c’est automatiquement écrit parfois de passer par Doctolib. D’accord mais ça ne fonctionne pas. Donc finalement on retourne toujours vers le téléphone pour tenter d’appeler un médecin spécialiste. C’est une boucle infernale, car des spécialistes, il en manque. On fini par s’auto-médicaliser, parce que le temps d’obtenir un rendez-vous de toutes façons, il faudrait 15 jours« .

« Nous aimerions ajouter que nous sommes conscients qu’il existe des déserts médicaux partout, que ce soit à la campagne ou ailleurs. C’est un problème de niveau national et ce que nous souhaitons, c’est un équilibre« .

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