Long format : quand la chasse redevient tendance chez les jeunes

La chasse est souvent à la une de l'actualité, notamment à cause d'accidents. Crédit photo : CD78-N.DUPREY
Et si la chasse redevenait tendance ? De plus en plus de jeunes voire très jeunes passent leur permis de chasser en France. Pourtant, d’un autre côté, les jeunes sont ceux qui se disent les plus concernés par le bien-être animal. Alors comment expliquer ce paradoxe et ce clivage ?

Vous avez 16 ans ? Alors, vous avez le droit de passer votre permis de chasser. Mais alors que la gauche et les militants d’associations dénoncent régulièrement des « défaillances » dans la pratique de la chasse, qui sont ceux qui font le choix de chasser en 2023 ? La France compte un peu plus d’un million de chasseurs, ce qui en fait le premier pays cynégétique d’Europe, c’est-à-dire qui se rapporte à la chasse, devant l’Espagne et l’Italie. La jeunesse semble plutôt divisée à ce sujet avec une partie qui a décidé de suivre les pas de leurs aînés dans les zones rurales et d’un autre côté d’autres qui combattent la chasse en France.

Morgan Keane avait 25 ans quand il a été touché d’une balle d’un chasseur alors qu’il coupait du bois chez lui. Depuis, le collectif « Un jour un chasseur » a été créé par des amies du jeune homme. Très actif sur les réseaux sociaux, il collecte et publie de nombreux témoignages de Français recensant des accidents de chasse sur le territoire. Depuis, le procès du chasseur de 35 ans qui a tué Morgan Keane a eu lieu. Le chasseur qui a tué, en 2020, le Franco-Britannique Morgan Keane dans le Lot a été condamné jeudi 12 janvier par le tribunal correctionnel de Cahors à deux ans de prison avec sursis et une interdiction de chasser à vie, alors que le ministère public avait requis un emprisonnement de six mois. Le directeur de la battue au cours de laquelle l’accident de chasse s’est produit a lui été condamné à dix-huit mois de prison avec sursis et à un retrait du permis de chasse pendant cinq ans. Pour Audrey, l’une des amies du défunt, « cette peine est minime et on regrette cette décision. Avec ce procès historique, la justice pouvait montrer que, oui, tuer quelqu’un même par accident à cause de la chasse doit être sévèrement puni, mais ce n’a pas été le cas« . Mais alors, avec des dizaines d’accidents chaque année, mortels ou non, qui sont ceux qui décident de pratiquer la chasse ?



Durant la saison 2020-2021, 80 accidents de chasse dont 7 mortels ont été comptabilisés. Selon le bilan de l’OFB, depuis 2000, 3 325 accidents de chasse ont été recensés, provoquant la mort de 421 personnes, mais la tendance est à la baisse.

« Ce que j’aime, c’est voir travailler mon chien et être au plus près de la nature »

Lorsque l’on échange avec des jeunes habitant les zones rurales, un argument ressort souvent, celui du travail du chien. Théo, 19 ans, chasse depuis qu’il est tout petit avec son père et son grand-père dans le Gers. Pour le jeune homme, « le plaisir de la chasse pour moi ce n’est pas de tuer, d’ailleurs je ne tue pas toujours quand je vais à la chasse. J’apprécie de pouvoir me balader dans la nature et surtout de voir mes chiens qui observent, traquent, sentent les traces du gibier« . Quand on le questionne sur le sens de la présence d’un fusil si son principal intérêt n’est pas de tuer, il répond que « il faut réguler, j’ai beaucoup d’amis agriculteurs qui paient les conséquences d’une trop forte population de gros gibier qui massacrent les cultures« . Et Théo n’est pas un cas isolé, ses amis du même âge adorent la chasse aussi.

« On est un petit groupe de quatre ou cinq et on chasse régulièrement ensemble« , indique le jeune gersois. Quand on pense à la chasse, on pense à de nombreux clichés qui n’en sont pas forcément. Par exemple, les repas souvent alcoolisés. Théo apprécie ces moments où les jeunes et vieux chasseurs se retrouvent autour « d’un bon repas » et « avec du bon vin« . Plusieurs polémiques sont déjà sorties autour de chasseurs qui pratiqueraient cette activité en ayant bu de l’alcool. Théo répond que « oui, j’ai déjà vu des amis à moi qui allaient chasser alors qu’ils étaient encore alcoolisés mais il faut reconnaître que c’est une minorité d’entre nous et puis maintenant que c’est illégal, il devrait y avoir beaucoup moins de cas« .

Merci Macron !

Les promeneurs vont devoir continuer à cohabiter les jours de chasse. Emmanuel Macron a souvent été interpellé sur sa proximité avec les chasseurs et notamment avec Willy Schraen, président de la fédération nationale. Les forces politiques de gauche ainsi que des militants animalistes lui demandent depuis des années et encore plus depuis les accidents mortels de citoyens, d’agir et de mieux encadrer ce « loisir« . Plutôt qu’interdire la chasse un jour par semaine, mesure pourtant plébiscitée par une majorité de Français, le gouvernement, à la demande de l’Elysée, préfère promouvoir une application qui permettra aux chasseurs de se signaler afin que les randonneurs les évitent. Les formations au maniement des armes devraient aussi être améliorées. Audrey, cofondatrice du collectif « Un jour un chasseur« , estime en riant jaune que « c’est vraiment insuffisant, en plus la plupart des chasseurs sont plutôt âgés et n’ont pas forcément de téléphone. Il faut aussi dire que quand on vit dans les campagnes, on sait qu’il n’y a pas toujours du réseau donc cette mesure semble dérisoire ». Pourquoi autant de « cadeaux » faits aux chasseurs alors que les sondages sont tranchés ? Comme en 2016, près de 8 Français sur 10 seraient favorables à une interdiction de la chasse le dimanche, selon un sondage Ifop du 2 janvier. Dans le détail, ce sondage révèle également que 70 % des Français ne se sentent pas en sécurité en période de chasse. Les habitants des campagnes sont les plus inquiets (74 % contre 67 % pour l’agglomération parisienne par exemple). Les associations animalistes dont les militants Pierre Rigaux ou encore Hugo Clément alertent sur les réseaux sociaux et dénoncent une « pratique désuète« .

Les chasseurs, premiers écologistes de France ?

C’est une phrase du président de la Fédération nationale des chasseurs, Willy Schraen, qui est restée dans tous les esprits. « Tu penses qu’on est là pour réguler ? (…) On prend du plaisir dans l’acte de chasse. Moi, mon métier, c’est pas chasseur, j’en ai rien à foutre de réguler.  » Cette déclaration faite en 2021 sonnait alors comme un aveu et allait à l’encontre du slogan de la FNC répété depuis la campagne publicitaire de 2018 qui présentait les chasseurs comme « les premiers écologistes de France ».

Mais, selon les associations de protection de la nature, ce discours n’est qu’un mythe. Environ 22 millions d’animaux sont tués chaque année par les chasseurs en France, rappelle les associations. Les oiseaux représentent 80 % des cibles, le pigeon ramier (4,9 millions) et le faisan commun (3 millions) étant les deux espèces les plus tuées, alors que des études déplorent la disparition d’un tiers des oiseaux dans les campagnes françaises en quinze ans.

Aussi, la LPO souligne que la France est l’un des seuls pays d’Europe à autoriser la chasse d’espèces menacées. Parmi les 64 espèces d’oiseaux chassables en France, une vingtaine sont inscrites sur la liste rouge européenne des espèces menacées établie par l’Union internationale pour la conservation de la nature. Les associations de protection du bien-être animal jugent aussi cruelles certaines pratiques traditionnelles comme la chasse à la glu, ainsi que l’élevage et l’introduction de millions de bêtes dans la nature destinées à être tuées pour le loisir. Selon l’Aspas (Association de protection des animaux sauvages), qui se fonde sur des chiffres du Syndicat national des producteurs de gibier de chasse, en 2018, environ 30 millions d’animaux sont élevés pour la chasse, dont 20 millions à destination de la France.

Un aspect questionne aussi : le plomb des munitions. Selon l’Agence européenne des produits chimiques, se sont entre 30 000 et 40 000 tonnes de plomb qui sont dispersées chaque année en Europe dans la nature, alors que la France concentre un quart des chasseurs européens.

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