Pourquoi faut-il « repenser le monde de l’entreprise » selon Julia de Funès ?

Julia de Funès, Docteur en philosophie et diplômée de ressources humaines, a donné une conférence à l’Aria de Cornebarrieu sur le travail et les absurdités en entreprise. D’un ton assuré, elle a livré avec humour son opinion issue de son vécu, ainsi que ses nombreux travaux de recherche. 

« La philosophie ne cherche pas l’exactitude, elle cherche le sens. Tout ce que je dis n’est pas la vérité. Je ne viens pas ici en sujet sachant », pendant plus d’une heure, les anecdotes familières (de la pensée de Nietzsche aux chansons de Johnny Hallyday) mêlées aux explications philosophiques de Julia de Funès ont tenu en haleine le public de l’Aria de Cornebarrieu, composé en grande majorité d’étudiants.

Ce que Julia de Funès reproche (en partie) aux modèles existants

Avant de rentrer dans le vif du sujet, Julia de Funès demande : « Surtout contredisez-moi le plus possible. Tant mieux si vous n’êtes pas en accord avec ce que je dis. » À ses yeux, la confrontation n’est ni un conflit, ni une humiliation. Bien au contraire, c’est de la bienveillance car l’opposition d’idées passe par l’écoute, la compréhension d’autrui et la recherche d’arguments.

Ceci étant dit, afin de démontrer que les méthodes de management actuelles sont à repenser, Julia de Funès avance différents arguments sociologiques et philosophiques autour de grands questionnements fondamentaux. En un tour de cadran elle passe en revu certaines thématiques comme « ce que représente la peur chez les adultes », « la quête de sens, utilisée à tort et à travers et qui perd tout son intérêt », « le fait que la confiance et le contrôle en entreprise sont deux notions opposées » et ainsi de suite… Avec son argumentaire construit et raconté sans anicroche, Julia de Funès met à mal tout ce qui constitue la grande mode comportementale actuelle en entreprise : le bonheur des salariés. 

« Les entreprises cherchent à provoquer le bonheur de leurs employés, car ils pensent qu’un travailleur heureux sera un travailleur plus performant. Or, c’est prendre la cause pour la conséquence. Selon moi, c’est sa productivité qui permettra à l’employé d’éprouver des émotions positives. On instrumentalise le bonheur des gens pour un but de performance », développe-t-elle, avant d’ajouter, non sans une certaine animosité envers la norme qu’elle juge inadaptée : « Cela fait 2 500 ans que les philosophes essaient de définir le bonheur. La définition du bonheur c’est que c’est une affaire entre soi et soi-même. C’est indéfinissable. Alors n’employons pas des gens qui prétendent savoir comment vous rendre heureux. »

Exit les baby-foot, les bonbons et les formations trop ludiques

Pour tenter de garantir la joie de tout un chacun, quasiment toutes les sociétés rivalisent d’inventivité : « Maintenant, toutes les grosses entreprises sont des technopoles, des grosses structures en verre, avec des poufs rouges bleus, un baby-foot, des plantes vertes, et même des bonbons ! » Une mode basée sur l’infantilisation des adultes, qui persiste et qui a le don d’irriter Julia de Funès. « J’ai 39 ans, proposez-moi du champagne ou du porto, mais pas des bonbons ! »

L’autre cheval de bataille de la philosophe concerne les formations. Une fois de plus, le ton et l’humour qu’elle emploie pour dénoncer le ridicule de certaines situations force une vague de sourires généralisée à travers tout son auditoire. Sur ce point, elle explique que les formations en entreprise assurées par des coachs sont rarement de qualité. « En général, c’est ludique. Il faut s’amuser en formation : est-ce qu’on a l’esprit créatif ? Coopératif ? On utilise des legos, des post-its, les plus chanceux font des escape games, mais former des gens avec du ludique c’est, pour moi, une imposture. »

Dans un même souffle, notre oratrice casse la sacralisation de certains autres précieux outils, de quoi faire trembler les amateurs de « brainstorming », de « process », de « powerpoint » ainsi que des sempiternelles réunions à rallonge…

Julia de Funès pendant sa conférence à Cornebarrieu / Crédits : Anne-Lyne Cabarrou

De l’art de parler « entreprise » à des étudiants

Parler de management et de milieu entrepreneurial à des étudiants qui n’y ont été que peu confrontés n’est pas chose aisée. Pourtant, les enjeux sont d’autant plus importants pour Julia de Funès lorsqu’elle est face à ce genre de public.

« Évidemment, un étudiant sentira toujours moins la teneur de mes propos qu’un individu qui a déjà un passif avec l’entreprise ; il aura beaucoup moins ce sentiment de description de la réalité. Pourtant c’est avec les étudiants que tout se joue : il faut alerter, favoriser l’esprit critique, et surtout sensibiliser aux idéologies ambiantes et aux logiques procédurières dans lesquelles il ne faut pas tomber ou par lesquelles ils ne doivent jamais se laisser berner. »

Échanger avec des étudiants est un exercice encore trop rare dans l’emploi du temps pourtant bien chargé de la philosophe. 5 fois sur 7, elle a affaire à des collaborateurs qui sont déjà, et depuis longtemps, dans cet univers qu’elle s’efforce de décrypter. Mais, même lorsque le public est jeune, son message semble également avoir un impact positif :

J’ai trouvé cette conférence réellement géniale tant dans l’exécution même de sa présentation que dans son contenu. (…) Cela fait plaisir d’écouter quelqu’un se préoccuper des points culminants de notre société d’aujourd’hui, des points qui servent à la réussite morale mais également professionnelle de nous tous. Je dirais que cela permet de se remettre en question.

Lora, étudiante en 3e année de communication

De la philosophie, au monde de l’entreprise

Le nom de famille de Julia de Funès ne vous est sans doute pas inconnu. Petite fille du célèbre comédien comique et légende du cinéma Louis de Funès, elle semble avoir hérité de son grand-père un goût prononcé pour le travail, une certaine aisance à l’oral ainsi qu’un humour toujours bien senti. Mais alors que son ainé brillait par son jeu d’acteur, Julia de Funès a préféré emprunter une voie bien différente.

Doctorante en philosophie et titulaire d’un master en ressources humaines, elle a travaillé durant 7 ans dans le domaine du recrutement, avant de marquer un tournant dans sa vie professionnelle. 

« La philosophie me manquait trop. Aussi, je ne voulais pas passer toute ma vie en entreprise. Je trouvais qu’il y avait énormément d’absurdités dans ce fonctionnement, alors j’ai démissionné. »

Sa vision philosophique, moderne et sans tabou, sur le travail en entreprise lui a donné l’opportunité d’apparaître régulièrement à la télévision, notamment sur la chaîne BFM Business. Grâce à cette fenêtre de visibilité, elle a pu faire connaître ses travaux ; jusqu’à ce qu’un jour on lui demande d’intervenir en interne, dans des sociétés : « parce qu’on a besoin de philo dans les entreprises », lui avait-on réclamé à l’époque.

Au fil des années, elle a rencontré de nombreux employés et employeurs, a mené des dizaines de conférences et a même écrit trois livres : « Cours de philo sur les idées reçues » paru en 2010, « Socrate au pays des process » sorti en 2017, et enfin « La comédie (in)humaine » co-écrit avec l’économiste Nicolas Gouzou. Ce dernier ouvrage, lancé en 2018 est une sorte de « croisade contre l’absence de sens qui paralyse nos sociétés », un travail de recherche musclé et détaillé qui rejoint les propos que Julia de Funès tient durant ses conférences. 

Lorsqu’elle expose son point de vue (sur scène ou bien en privé comme ci-dessus), Julia de Funès ne plaide pas à charge, comme elle se plait à le rappeler. Toujours critique, mais jamais défaitiste : la petite fille du Gendarme de Saint-Tropez a de l’espoir concernant l’entreprise d’aujourd’hui et son fonctionnement. Et c’est justement parce qu’elle aime ce milieu qu’elle s’évertue à le « simplifier » et à chercher des solutions aux problèmes qui subsistent.

« Il ne faut surtout pas tomber dans le cynisme. Je crois et j’aime les entreprises, et c’est justement pour cela que je suis intransigeantes vis-à-vis de leurs méthodes de management », confie finalement Julia de Funès.

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