Affaire Dreyfus : « De nos jours, le goût du débat intellectuel existe encore »

L’affaire Dreyfus a marqué la IIIe République à cause de son impact social et politique sur la société française. Le capitaine Albert Dreyfus a pu compter sur le soutien d’intellectuels comme Emile Zola, qui se sont particulièrement engagés dans cette affaire. Quel a été le vrai rôle des intellectuels dans cette histoire ? Et surtout, assiste-t-on toujours à un tel engagement de nos jours ? Tout un éventail de questions auxquelles Jacques Cantier, professeur en histoire contemporaine à l’université Jean-Jaurès de Toulouse, a bien voulu répondre. Il animait ce mardi soir, à l’espace des diversités et de la laïcité de Toulouse, une conférence-débat sur l’avènement de l’engagement intellectuel pendant l’affaire Dreyfus.

 

Le 24 Heures : Pourquoi l’affaire Dreyfus a-t-elle eu cet impact sur la société française ?

Jacques Cantier : Je pense que l’affaire Dreyfus a autant touché la société française parce qu’elle était en rapport avec des thématiques actuelles comme le nationalisme, ou encore « quelle forme donner à la République ? » En plus, elle opposait deux systèmes de pensée. Au-delà de tout ça, l’affaire Dreyfus était concomitante à la séparation de l’Église et de l’Etat.

24H : Et pourquoi les intellectuels français se sont-ils pris de passion pour cette affaire ?

J.C : Parce que l’affaire Dreyfus posait des questions sur la justice, la vérité, la République et la Nation. Il faut dire aussi que l’affaire a eu un plus grand écho grâce à la presse grand public, qui était alors en plein essor.

24H : Est-ce-que l’affaire Dreyfus aurait eu le même impact si les intellectuels ne s’en étaient pas emparés ?

J.C : Non, probablement pas. L’affaire aurait été étouffée. Déjà, au stade de la condamnation puisqu’il y a eu ce dossier contre Albert Dreyfus donné aux juges, mais que ses avocats n’ont jamais reçu. On en serait resté à un cas d’espionnage et à une erreur judiciaire si quelqu’un comme le journaliste Bernard Lazare ne s’était pas saisi du dossier (à la demande de la famille, NDLR). C’est aussi grâce à la notion d’ »examen critique » apportée par les intellectuels que l’on n’a pas été dans une logique d’étouffement.

24H : Et aujourd’hui ? Les intellectuels ont-ils un impact sur le débat public ?

J.C : Oui, c’est encore possible de nos jours. Toutefois, la notion « d’intellectuels » s’est banalisée et le débat est devenu plus démocratique. Notamment grâce à internet et aux nouvelles technologies, qui permettent un accès aux savoirs. Les intellectuels seront toujours là mais pour apporter de la rigueur au débat.

24H : Et justement, avec toute cette « démocratisation du débat », ne risque-t-on pas de voir les intellectuels disparaître peu à peu de la scène publique ? Ne vont-ils pas se retrouver entre eux ?

J.C : Ce questionnement sur le silence des intellectuels est né au début des années 80, avec des tribunes comme celles publiées dans Le Monde par l’historien Max Galot. Après, je pense que cette image presque sacrée de « l’intellectuel omniscient qui est au-dessus de tout » va disparaître. La preuve : on continue d’appeler des intellectuels, mais ceux qui sont spécialisés dans un domaine précis. Le goût du débat intellectuel existe encore, mais plus celui d’un intellectuel à l’image bien lisse.

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